L’auteure-compositeure-interprète s’est montrée sereine dans l’œuvre comme dans l’âme. Elle m’a donc consacré une heure de son temps pour jaser de sa raison d’être, de ses diverses références, de sa mission, de ses valeurs profondes et des sentiments qui l’animent, de son nouvel album qui est en fait une reconnaissance à la vie tout en signalant certains inconforts. Conçue d’une union de métissage, Senaya a vu le jour à Dakar d’un père Sénégalais et d’une mère originaire de la Guadeloupe. Ses souvenirs sont sans doute meublés de cartes postales en raison des incessants voyages qui ont marqué son enfance jusqu’à la fin de son adolescence. Elle maîtrise sept langues dont le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, le portugais, l’italien et le créole. Ce bouquet expressif de sa trajectoire fait d’elle, une artiste « transculturelle », une ambassadrice sans frontière. Senaya ne se contente pas de vivre sa vie, elle s’y imprègne. Son port d’attache est le Québec. Il y a environ dix ans, elle s’est définitivement établie. Pour vous chers lecteurs, elle a bien voulu ouvrir une fenêtre de sa vie professionnelle pour nous offrir une belle réalisation, son album : GARDE LA TÊTE HAUTE. Écoutons ce que la Lauréate du Festival de Granby, catégorie meilleure interprète, édition 2003 avait également à nous raconter.
Senaya, puisque vous avez vécu à la Guadeloupe, Mère Patrie de votre maman, pouvez-vous nous raconter ce segment de votre existence ?
Je ne me suis pas vraiment établie à la Guadeloupe. Ma mère avait un pied à terre, et je me rappelle que nous faisions des vas et viens. L’intense souvenir que je garde de la Guadeloupe c’est celui de ma grand-mère qui habitait Trois-Rivières, ville de la région de Basse-Terre. Elle allait cueillir le café, le faire griller et ensuite le moudre. L’arôme qui embaumait la maison. Bref, j’ai le souvenir des odeurs, du parfum des lieux.
Le créole fait partie des sept langues que vous parlez n’est-ce pas. Vous parlez un créole impeccable. L’écrivez-vous avec autant de facilité ?
J’ai appris à écrire le créole guadeloupéen. Ensuite, je me suis documentée en comparant les créoles des autres Antilles.
Votre aventure d’auteure-compositeure-interprète a-t-elle débuté d’abord par l’écriture, puis la chanson ? A quel moment votre carrière a commencé ?
Professionnellement tout a commencé en 1996, ici au Québec. Je cherchais ma voie. C’est ainsi que je suis devenue membre fondateur d’un groupe baptisé SUNROOTS traduit : « Racines du Soleil ». On comptait Muna Mingolé, Guy Langué, Didier Edo et moi-même. Comme nous étions d’origines diverses, nous avons exploré plusieurs tendances. De la musique latine, africaine, antillaise, française, du jazz et le blues. C’était la meilleure façon pour moi de faire une introspection pour pouvoir me connaître, m’épanouir.
Être lauréate du Festival de Granby qui est une plate forme artistique très visible implique quels autres privilèges ?
Cela m’a apporté l’amour de ce que je fais et le goût de poursuivre mon rêve. J’ai participé à ce concours pour présenter mon univers, ma carte de visite. J’ai pu constater comment les gens ont réagi. Aujourd’hui, je suis fière de ma référence. Grâce à la somme rattachée au Prix, j’ai pu réalisé mon album avec l’étroite collaboration de Wesley Louissaint, qui est un talentueux guitariste et de Sonny Black. Au bout du compte, c’est le partage de nos richesses, notre personnalité, nos expériences qui est mis à contribution pour atteindre un objectif : mon album GARDE LA TÊTE HAUTE .
Pouvez-vous décrire l’ambiance qui entourait la réalisation de l’album ?
Je voulais un producteur qui allait laisser libre cours à ma créativité artistique. J’ai fait appel à Steven Tracey qui est le producteur de Corneille. Au niveau du rythme, Je me suis assurée de produire une musique populaire entraînante, joyeuse à travers une littérature directe. C’est un choix bien calculé. En tout cas, ce n’est pas de la tromperie.
Vos parents ont-ils un lien étroit avec la musique ?
Mon père joue de la guitare pour le plaisir et ma mère joue de la percussion pour le loisir.
Certaines pièces qui figurent sur l’album ont servi à confirmer votre talent de chanteuse. Pouvez-vous les nommer ?
J’ai présenté plusieurs chansons à Granby qui sont : SOUL CRÉOLE, UMJALA, ON S’EN FOUT (autrement), LA MISÈRE (mais en final, cette dernière n’a pas été présentée).
Vous êtes porteuse de plusieurs messages de votre album. D’ailleurs, le titre : GARDE LA TÊTE HAUTE est annonciateur. Quel est le but principal de ces messages ?
Je ne veux certainement pas m’imposer en gourou. Ce que je souhaite, c’est que les gens puissent avoir l’occasion d’atteindre l’essence de leur être à l’écoute des chansons. C’est spécifiquement cette avenue que je vise.
Certains auraient tendance à croire que vous partez en croisade contre la faiblesse humaine. Il est question de folie, du mensonge, de l’échec, la fantaisie, la solution imparfaite, la peur, l’abus, l’indifférence, la négligence, la peine, la haine, le désespoir, les vices. Toutes les misères morales et physiques y figurent ou presque. Pourquoi cette concentration de vilénies lancée d’un seul coup ?
Parce que je me rends compte qu’une majorité de gens n’ont pas compris que c’est ensemble que nous arriverons a lutter contre certains maux de ce monde, et je crois que fondamentalement il y a des gens qui ne sont pas là pour construire mais pour détruire, pour moi c’est une façon de dénoncer à ma manière ce qui se passe dans le monde
Le projet d’écriture s’est-il déroulé aisément ?
J’ai beaucoup peiné pour écrire certaines chansons. Par moment, j’ai même pleuré. J’avais des impératifs de temps. Je peux vous dire que commander l’inspiration n’est pas une chose facile.
Vous invitez les gens à ouvrir les yeux sur la vie par esprit d’optimisme, mais vous admettez que la vie n’est ni facile, ni tranquille. Est-ce un souhait réaliste d’après vous ?
Pour être idéaliste, je le suis. L’espoir existe à mon avis. Et tout se passe de l’intérieur vers l’extérieur. Chacun a la responsabilité individuelle de rejoindre le global. C’est le travail de toute une vie. Je ne sais même pas de combien de vie ! Je sais par contre qu’il faut mériter de vivre, mériter d’être un être humain.
L’expression GARDER LA TÊTE HAUTE fait appel à la dignité en soi, pièce maîtresse de l’échelle des valeurs qui n’est pas à la portée de tous. Hormis, le goût de la majesté, de la décence et de l’honneur quelles sont les autres qualités humaines que vous souhaitez trouver chez les gens ?
Quand quelque chose va contre mes valeurs, mes principes, j’ai du mal à fonctionner. Et il m’arrive de réagir très mal. J’ai horreur de l’imposture, la mauvaise foi, le manque de conscience. J’aime les gens franc, direct, catégorique, honnête envers eux-mêmes et envers les autres. J’apprécierai mieux qu’un voleur avoue son délit que celui pris la main dans le sac et qui l’ignore. Je possède de l’empathie en moi pour comprendre les autres.
Êtes-vous perfectionniste ?
Ma profession exige de la performance mais je ne suis pas perfectionniste. Toutefois, je crois qu’il faut s’élever vers une richesse spirituelle, vers l’infinie.
La divine Senaya demande plus d’une fois à l’Être Suprême de lui prêter main forte dans sa lutte vers la générosité, la bonté. Si elle devait décrire Dieu, quel visage lui aurait-elle dévoilé ?
Un Être de lumière. Une sorte de fluide. Un bien-être absolu. Une Énergie positive qui nous permet de gravir les montagnes de la vie. Un Amour incommensurable et Infini. Une infirme partie qui infuse en nous suffit à nous transformer.
La vidéo clip a été tournée ailleurs ou au Québec ?
Dans le Mile-end, un quartier Juif.
Ai-je tort de croire que certaines séquences bien qu’artistiques sont codées ?
Effectivement, la scène où je me retrouve au milieu d’un cercle exposée au soleil est un rituel cabalistique très significatif. Je recentre les énergies sur moi-même. C’est une forme de protection. D’un commun accord avec le réalisateur, nous avons décidé cette prise.
Que représente la scène pour vous ?
A chaque fois que je monte sur scène, j’ai une mission. Alors, je communique. J’essaie de contribuer...
J’ai remarqué que vous ne faites pas usage du mot passion, pourquoi ?
Parce que la thématique de la passion amène à une certaine folie.
La 7ième plage, MWENTÉLA est-elle une belle ballade pour donner mauvaise conscience à un amoureux ou un appel au partage, à la réciprocité de vos semblables ?
C’est une chanson qui exprime ma peine. Ce genre de blessures qui s’accumulent quand on a l’impression d’investir dans le vide.
Pour clore la conversation, j’ai le goût de vous exprimer à mon tour le sentiment que me laisse l’écoute de l’album de Senaya. C’est un produit qui peut facilement nous entraîner à une certaine accoutumance. Les complaintes sont formulées sans lamentation, un signe de courage et de sérénité.