Roland Morisseau, fuyant la dictature duvaliérienne, fait partie de ces écrivains des années ‘60 qui ont donné un nouveau souffle à la littérature haïtienne. Cette tradition de “transfert d’énergies sur un espace nouveau” connue longtemps en Europe (Byron, Shelley, Oscar Wilde, D.H. Lawrence, James Joyce) ou en Amérique (Walt Whitman, Melville, Henry Miller, Hemingway, James Baldwin) s’est progressivement installée dans le vécu de l’écrivain haïtien. En effet, depuis quelques quarante années de vie, on peut remarquer que la grande majorité des écrivains haïtiens ont fui le pays ou veulent le quitter à un moment ou à un autre. L’expatriation et/ou l’excentricité alcoolique sont vite devenues le seul recours à l’écrivain haïtien conscient des malaises de notre société en débandade. Tel fut, à mon avis, le lot (de soucis et de misère) également de Roland Morisseau qui n’arrivait pas à trouver la poésie de sa folie.
“Roland Carl Brouard Saint-Aude
. . . . . . . .
amis oubliés
qui ne m’inquiètent plus
mais qui se mêlent aux ombres et à l’exil des âmes
je vous écris de la main d’une femme”
Le poème, chez Roland Morisseau, est une synthèse. Synthèse de ce cadre insulaire qui se substitue aux risques et aux angoisses quotidiens d’ailleurs. A la recherche de sentiments neufs et d’amour, le poète semble peupler ses poèmes de symboles et de mythes pour y rechercher, sinon l’équilibre, du moins la plénitude du geste créateur. L’ouvrage, La Chanson de Roland (1979), qui est une rétrospective regroupant de nombreux poèmes déjà publiés, traduit son enracinement dans l’art poétique universel. Cela dit, Roland Morisseau semble s’insérer dans la tradition des poètes de l’aventure humaine qui, à l’instar de Maïakovski, suscitent le sentiment initial de la solidarité humaine. Si son oeuvre baigne parfois dans une atmosphère quasi-surréelle, le poète, toujours gourmand des mots doux et savoureux, sait, de surcroît, inventer l’impossible pour réaliser l’imaginaire. Son rythme poétique se veut énergique, viril, mais aussi fascinant. C’est en somme un auteur de l’ironie par l’état de cette poésie du désespoir que l’on connaît également de lui.
Dans une même communion en beauté, il allie à la fois l’art, la vie, la femme, l’espoir, l’Afrique, l’amitié et l’amour des autres ; autant de sentiments humains qui ont fait de l’homme et de son oeuvre une association progressive au-delà de la voix poétique. Ses auteurs préférés semblent être ces écrivains et ces poètes “de haute tour” : Maître Eckart Sermons, Lautréamont, Gérard de Nerval, L. Milosz et le célèbre Verlaine. De Germination d’espoir (1962) à Poésie (1993), on sent l’amélioration d’une technique d’écriture qui ne cesse jusqu’aujourd’hui de nous émerveiller. C’est comme si le poète a su, au fil du temps, découvrir le secret qui fait des grands écrivains un “phénomène conscient”.
À lire de Roland Morisseau :
5 poèmes de reconnaissance, poèmes, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1961.
Germination d’espoir, poèmes, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1962.
Clef du soleil, poèmes, Édition “Les Araignées du Soir”, Port-au-Prince, 1963.
La chanson de Roland, poèmes (1960-1970), Coll.”Poésie”, Nouvelle Optique, Montréal, 1979.
La promeneuse au jasmin, poèmes, Guernica, Montréal, 1988.
Poésie (1960-1991), Guernica, Montréal, 1993.