Je suis né à Hinche, au centre d’Haïti, de mon vrai nom John Nelson, le 21 septembre 1958. Mes études primaires une fois terminées chez les Frères de l’Instruction Chrétienne de Port-au-Prince, et mes études classiques entamées d’abord au Petit Séminaire Collège Saint-Martial de Port-au-Prince, puis ensuite aux Collèges Saint-Jean des Cayes, dans le Sud d’Haïti, et Notre-Dame du Cap-Haïtien dans le Nord d’Haïti, je sentais naître en moi un jour nouveau. C’était au début des années ’70. Et c’est ainsi, j’ai débuté dans les choses littéraires sans savoir où aller et pourquoi. C’est une tentative qui m’a coûté très cher et je dirais même plus que la liberté. J’y suis né spirituellement et je n’ai pris conscience de certaines réalités qu’à partir de cette promotion dans l’acte d’écrire. Après quelques années à la Faculté de Médecine de Port-au-Prince, je fus obligé de m’exiler au Canada où je rejoignis ma mère afin d’étudier la Biologie expérimentale, la Biochimie, la Nutrition et les Sciences Cliniques. À moins de quinze ans, aux Cayes, dans le Sud d’Haïti, j’écrivis mes tout premiers poèmes. À vingt et un ans, influencé par mon père qui était alors militaire, j’ai publié mon premier recueil de poésie : Chants d’homme pour les nuits d’ombre, qui fit couler beaucoup d’encre.
On peut lire mes poèmes comme de courts chapitres d’un vaste roman. Car ma vie est un roman. Et c’est bien cette dimension du temps que j’essaie tous les jours de mettre sur papier, de capturer. J’essaie également d’unir l’éloquence réglée de Pablo Neruda, poète chilien, aux éclairs farouches de Magloire Saint-Aude, poète haïtien. Ma poésie est une tentative. Elle s’accorde à soumettre l’esthétique à l’éthique, et répond à ma volonté, à mes conceptions et à mes exigences de trouver le chemin de tous les coeurs et de me confondre avec la respiration de tout peuple. Cependant, cette poésie a besoin, de temps à autre, de l’accélération d’une hypothèse hardie, d’une imagination systématique. Il faut donc cette audace d’esprit, ce ferment d’insolence qui lui rend un son neuf et la renvoie à l’action poétique.
Je ne reprends pas à mon compte la lutte de l’écrivain moderne contre ou avec le langage. Pour moi, il ne s’agit pas vraiment de fonder un nouveau langage, mais d’accomplir dans sa pleine perfection un langage associé aux valeurs de la sensibilité nouvelle. La poésie fut et est pour moi un lieu de thérapie et de connaissance progressive. Elle demeure encore aujourd’hui un lieu d’approfondissement méthodique et chaleureux, favorable à l’imminence d’une écriture plus vivante que jamais. Ce lieu de dépouillement et de tension collective, ce lieu de purification, de transmutation de la douleur ou de la joie en mots, laisse émerger mon écriture qui est, à toutes fins pratiques, "le lien sacré du langage et du monde". De ce fait, je garde toujours un sentiment d’accointance continue envers tous mes livres, bons ou mauvais. Car je m’y retrouve sans cesse, mots après mots.
S’il faut, à travers le temps, respecter les traditions, il est tout aussi évident et primordial que cette nouvelle littérature se fasse par et pour tout le monde. Ce langage nouveau, inter-ethnique, métissé, valorisé comme étant un "mouvement de la parole dans l’écriture", apportera à la conscience du poème (ou du poète) cette vitalité qu’est la mutité littéraire qui est également mienne.
Culture de l’identité
Il est bien surprenant et assez inquiétant que certains écrivains feignent d’ignorer ou de n’avoir pas encore remarqué les profonds changements qui ont affecté la géographie du poème contemporain. Il suffit de feuilleter certains recueils de poésie pour y retrouver des intentions nettes sur les perspectives d’une littérature post-moderne, des comportements audacieux contre l’action et l’érection d’un langage encagé dans le réel.
C’est à croire que ces nouveaux poètes veulent éliminer à tout prix ce que les critiques ont longtemps appelé la littérature de combat. Qu’on le veuille ou non, nous sommes bien à l’heure du post-engagement. Le poète rationnel ne peut que changer de politique et, à la rigueur, changer de discours afin de s’adapter et donner l’illusion de la novation. Ce nouvel accent mis sur l’individuel, le mouvant, l’intermittent, l’identité du subjectif, l’usage du symbole, par opposition à l’affectif, à l’identité de l’essentiel, au naturel, rejette donc le documentaire social qui, paraît-il, interrompt constamment l’élan poétique. Ce nouveau pouvoir, cette opposition entre l’incommunicabilité de la sensation et l’identité de l’objectif, se réfère à un climat où les mots doivent aboutir à une oeuvre qui s’offre à la convoitise du goût. Mais oeuvre fondée sur la conscience dominée par la douleur d’écrire dans une situation de dépendance et de manque. Cette ambiguïté de l’acte d’écrire inscrite dans une situation inconfortable s’explique d’elle-même et témoigne du refus de l’identité incohérente nourri par certains poètes de la diaspora prompts à remettre en cause et sans cesse la notion de l’identité. Plusieurs interventions d’écrivains témoignent de cette réflexion primaire. Heureusement, la notion de transculture et la question de l’identité semblent à tout jamais "déplacées", voire "transformées", comme l’ont d’ailleurs déjà constaté Lise Gauvin et Gaston Miron, écrivains québécois, dans leur ouvrage intitulé : Écrivains contemporains du Québec ( Paris : Seghers, 1989).
Poésie, langue et langage
Sur plusieurs tons et à travers divers matériaux, l’enjeu esthétique en poésie est inextricablement lié à celui de la langue. Cette transformation de la langue, revendiquée et pratiquée par certains écrivains, a conduit, certes, à différentes stratégies textuelles des plus surprenantes. La déflagration formelle, l’éclatement des normes et les possibilités de surtaxes linguistiques sont, parmi tant d’autres, en constante dérivation et donnent lieu à une écriture de l’insouciance et de la dérive. Cette attitude négative, à mon avis, tend non seulement à circonscrire l’écriture de la poésie, mais aussi à la dépouiller de toute substance vitale à son identification certaine et personnelle. Cette carte d’identité, du moins organique, propre à la poésie que sont les images, y est pour ainsi dire escamotée au profit de grandes envolées formelles pour la plupart fausses et des fois "signifiantes". Il n’est pas totalement rassurant d’imposer la notion de l’image comme moteur de toute poésie. Mais elle reste cependant l’accompagnatrice de l’effort poétique, le catalyseur de l’action poétique. Il nous reste de nouveau à apprendre que le poème est un ensemble, qu’il comporte et englobe un pluralisme de l’objet authentique. Si la poésie est le cheminement qui mènera vers d’autres formes, si la poésie renvoie à une alliance insolite entre des mots, le poème demeure le lieu de l’instance délivrée dans l’immédiat.
L’acte d’écrire
L’acte d’écrire est en soi un acte de purification. L’idée même d’écrire est une transmutation de la souffrance ou du plaisir en mots. Cette passion d’écrire, cette hantise humaine qui peut changer et faire varier les choses et les hommes, suivant les exigences du moment ou de l’appartenance, me dévorait depuis l’adolescence. Et je l’ai assumée comme un sacerdoce, comme une obsession de laquelle je ne pouvais ni ne voulais me libérer. Le chemin de l’art, il est vrai, est long et pénible ; et seule la recherche continue m’aura permis d’améliorer mon travail et d’aboutir au résultat désiré. Ainsi, j’écris tous les jours et ce, avec la même passion du début, c’est-à-dire avec une ténacité et une discipline sans bornes. Un livre ne s’écrit jamais seul. Le poète doit carburer aux idées nouvelles et se saouler de mots rares, bien que ceci pousse des fois le véhicule à primer sur le contenu.
Le poète comme véhicule
S’il existe un concept poétique qui soit plus éprouvé et plus direct, abandonné à lui-même dans ses rêveries indiscrètes, c’est la poésie de circonstance. Le romancier et poète brésilien, Gérardo Mello Mourao, estimait que "la chose prioritaire, pour l’intellectuel, c’est la création. L’engagement politique confisque l’écrivain à sa vocation, qui est une activité systématiquement critique. Toute idéologie, parce qu’elle est un système fermé, représente la mort des idées. Quand on professe une idéologie, qu’elle soit nationaliste ou de gauche, on déserte l’exercice des idées fécondes. La vocation essentielle de l’intellectuel, c’est la liberté qui n’appartient à aucun parti, à aucune idéologie."
Finalement, si le poème n’est qu’un exercice de pensée ardente qui se traduit par l’accouchement de l’écriture vers les horizons absolus du langage, le poète serait le véhicule de cette pensée. Donc, l’engagement envers la poésie assure déjà la force physique d’une idéologie passive et certaine.