La Chambre des Députés a approuvé jeudi par 43 voix pour, six contre et trois abstentions le projet de loi sur la prolongation de 18 mois de l’état d’urgence post-séisme et la création de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), un pas important franchi dans le cadre du très controversé processus de reconstruction initié par l’Exécutif avec une présence imposante de la communauté internationale.
Auparavant, l’assemblée des Députés, où les représentants du nouveau parti présidentiel Inite constituent une forte majorité, avait entériné le rapport de la commission spéciale chargée d’analyser la version modifiée de la loi sur l’état d’urgence.
A l’issue de cinq heures de débats, Inite a imposé ses vues et a voté massivement, avec de légères modifications, le texte qui vise à accorder à l’Exécutif, et à travers lui à la CIRH, le droit de conduire la politique de la nation et de gérer les fonds publics sans avoir aucun compte à rendre pendant 18 mois.
Cette période coïncidera avec l’exercice du mandat de la CIRH qui, sous la co-présidence de l’envoyé spécial de l’ONU et ex-Président des Etats-Unis, Bill Clinton, et du Premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, aura la haute main sur l’enveloppe de 5,3 milliards de dollars promise par les partenaires internationaux à titre d’aide à court terme à la reconstruction du pays. Une partie d’un montant global de 9,9 milliards de dollars sur plus de trois ans annoncé la semaine dernière à la conférence de New York.
Après l’échec d’une tentative d’infirmer le quorum et le rejet d’une proposition du Député Frantz Robert Mondé sollicitant des explications du Premier ministre Bellerive sur la gestion douteuse de 197 millions, puis 163 millions de dollars, consacrés à des fonds d’urgence, les élus opposés à l’inititative du Président René Préval ont dû se rendre à l’évidence.
A l’arrivée, dans un ultime baroud d’honneur, seuls six Députés se sont prononcés contre une extension à 18 mois de l’état d’urgence jugée "scandaleuse" et "dangereuse" pour l’avenir de la démocratie et du pays. Steven Benoît (Pétion-Ville, Ouest), Esdras Fabien (Carrefour, Ouest), Féquière Julien (Union/Arcahaie, Ouest), Ronald Etienne (FRN/Pestel-Beaumont, Grand’Anse, sud-ouest), Arsène Dieujuste (MOCHRENA/Gonaïves, Artibonite, nord) et Jean David Génesté (Alyans Demokratik/Cayes-Ile-à-Vaches, Sud) ont tenu à marquer leur territoire même s’ils se savaient trop peu pour pouvoir endiguer les vagues des zélés Députés pro-gouvernementaux.
En réaction, le président de la Chambre basse, Louis-Jeune Levaillant, membre de l’état-major de Inite, s’est déclaré satisfait du vote qui, de son point de vue, donnera au gouvernement et à la communauté internationale les moyens de faire face à la situation de crise exceptionnelle que vit le pays depuis le tremblement de terre.
M. Levaillant s’apprête à adresser une correspondance à son homologue du Sénat,Kély Bastien, pour l’informer de la décision de l’assemblée et transférer la loi telle que votée au Grand Corps qui devra à son tour se prononcer sur le document.
Présent jusqu’au vote final, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Joseph Jasmin, a qualifié la séance de "démocratique" et la décision des Députés de "début d’espoir" pour les nombreuses victimes du séisme dont la rue est devenue le lieu de résidence.
Cependant, au Sénat où tout va se jouer, le rapport de force politique est loin d’être favorable pour l’instant à l’Exécutif qui a besoin impérativement de 16 voix pour faire passer cette nouvelle loi sur l’état d’urgence.
L’un des chefs de file de l’opposition, le Sénateur Youri Latortue (AAA/Artibonite, nord), a annoncé les couleurs peu après le verdict des Députés. Il affirme que son bloc qui compte 13 membres cherchera coûte que coûte à déclarer "irrecevable" la tentative du pouvoir de faire avaliser une loi conçue en violation flagrante de la constitution et visant à mettre le Parlement sur la touche.
Exprimant le souhait de rencontrer le chef de l’Etat autour son initiative, M. Latortue estime qu’il aurait pu nommer les membres de la Commission intérimaire par arrêté présidentiel sans solliciter l’approbation des deux Chambres législatives.
En attendant la séance cruciale qui devrait se tenir mardi prochain, le camp gouvernemental semble ne pouvoir officiellement compter que sur le soutien de 13 Sénateurs.
Mais, d’ici là, toutes les tractations demeurent possibles et des revirements spectaculaires aussi.
Conisdérée comme une "mise sous tutelle déguisée" d’Haïti, la création de la CIRH, intimement liée à l’état d’urgence nouvelle version, est rejetée dans une large partie de la classe politique et de la société civile.
Une quarantaire de partis et organisations ont, dans une déclaration commune, lancé une levée de boucliers contre la "politique immorale et illégale" de René Préval, lui-même déterminé à poursuivre sa route à dix mois de l’expiration de son mandat, le 7 février 2011.