Depuis le but historique de Manno Sanon face à l’Italie en Coupe du Monde de la FIFA, R.F.A 1974, le pays n’a connu que la violence et l’instabilité politique. Déjà, à l’époque, la joie des supporters haïtiens avait été de courte durée : six minutes après l’ouverture du score de Sanon, les Italiens égalisaient pour finalement s’imposer 3:1 à l’issue de la rencontre. Pourtant, le football demeure une véritable passion pour tous les Haïtiens.
C’est dans l’euphorie que les fans ont accueilli la qualification de la sélection U-17 pour Corée 2007. Après avoir goûté aux joies de la Coupe du Monde de la FIFA, la petite nation insulaire a donc découvert la Coupe du Monde U-17 de la FIFA cet été. Et, à la surprise générale, les jeunes Haïtiens ont plutôt bien négocié leur entrée en matière. De fait, après deux journées, une place en huitièmes de finale leur tend les bras... à condition de s’imposer face au Nigeria, qui occupe actuellement la tête du Groupe D.
Hier et aujourd’hui Dominic Vorbe, le frère de Philippe, capitaine haïtien en 1974, a vécu les deux tournois de l’intérieur. "Il règnait une sorte de folie douce lorsque le pays s’est qualifié pour la Coupe du Monde 1974, explique-t-il. Tout le monde était derrière les joueurs. Nous étions tellement fiers. Aujourd’hui, nous revivons les mêmes émotions avec les U-17. Il se passe quelque chose ici. Le football n’est pas un sport à Haïti, c’est une religion. Même dans les moments les plus difficiles, il y a toujours des gens qui jouent au foot."
Pour Jean-Yves Labaze, le sélectionneur haïtien, l’équipe a réussi des débuts très intéressants dans cette compétition. Mais pas question pour lui de laisser la fierté et l’excitation nées à l’issue des deux premières journées (une défaite 1:3 contre le Japon et un nul 1:1 obtenu face à la France) déconcentrer ses protégés.
"La Coupe du Monde, c’est le top, quelle que soit la tranche d’âge. Tout le monde veut participer à la Coupe du Monde, joueurs et entraîneurs. Nous sommes en train de vivre un moment important dans l’histoire de ce pays."
Après des années de guerre et de répression, le football renaît enfin en Haïti, au terme d’une longue traversée du désert. Le pays, qui partage l’île d’Hispaniola avec la République Dominicaine, est considéré comme la deuxième nation la plus pauvre du monde occidental. Haïti pointait à une peu enviable 154 ème place (sur 177) au dernier classement du développement économique et social de l’ONU en 2006. 80 % de la population vit bien en dessous du seuil de pauvreté. Mais, en dépit de tous ces handicaps, le football continue à prospérer à travers tout le pays.
Grandir à son rythme L’exil de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide en 2004 et l’intervention des troupes de l’ONU pour stabiliser la région sont autant de signes encourageants pour l’avenir. Lentement mais sûrement, Haïti tente de rattraper son retard sur les plans politique, social, économique... et footballistique ! Pour preuve, les exploits de la sélection U-17 ont fait naître une grande vague d’espoir à travers tout le pays.
Fabien Vorbe, attaquant de l’équipe U-17 et membre de cette impressionnante dynastie de footballeurs, le confirme : "On parle toujours des malheurs qui frappent notre pays, mais le fait que nous soyons présents en Coupe du Monde témoigne des progrès réalisés ces derniers mois".
Pourtant, les équipements et les infrastructures dont bénéficie l’équipe nationale restent rudimentaires. En effet, le centre technique national n’a pas survécu à la folie destructrice qui a envahi le pays au moment du départ d’Aristide.
"C’était dur de voir les gens détruire ce temple du football haïtien. Certains ont été jusqu’à voler les cuvettes des toilettes, d’autres ont brûlé les tables de massage", regrette Dominic Vorbe.
Tout reconstruire Les autorités locales ont donc dû repartir de zéro. Mais, grâce à l’aide du programme Goal de la FIFA, la situation a connu une amélioration rapide.
Quiconque a été témoin de l’extrême dénuement qui règne actuellement en Haïti reste marqué à vie par cette expérience. Les cicatrices laissées par les émeutes qui ont accompagné le départ d’Aristide ne se sont pas encore refermées. Le siège de la fédération haïtienne et le centre technique national, qui n’a toujours pas été totalement reconstruit, ont particulièrement souffert.
Antoine Dorair, directeur du centre d’entraînement, raconte : "Tout à coup, l’état n’avait plus les moyens de financer la fédération. Le football a connu des années noires et il a fallu tout reconstruire". Toutefois, les récents investissements réalisés en matière d’infrastructures et, surtout, dans la formation des entraîneurs, lui ont redonné foi en l’avenir.
"Grâce aux nouveaux bâtiments, nous pouvons réunir toute l’équipe ici. Le football haïtien va pouvoir combler son retard, au niveau national et international."
Sans peur et sans reproche L’attaquant Charles Herold Junior, auteur de l’unique but haïtien lors de la défaite contre le Japon, assure que l’équipe est animée "par une véritable rage de vaincre" et que la pression n’aura aucun effet sur elle. "Nous avons joué devant 40 000 personnes au Honduras. Les gens nous encourageaient et, parfois, ils nous sifflaient. Ce ne sera donc pas un problème."
Et Fabian Vorbe d’ajouter : "Nous ne partons jamais battus d’avance. Même si nous devons jouer contre le Brésil ou l’Angleterre, nous entrerons sur le terrain convaincus d’être les meilleurs".
De fait, les Haïtiens auront besoin de tout leur courage, de tout leur talent et de toute leur hargne pour venir à bout d’une formation nigériane impressionnante depuis le début du tournoi. Avec, au bout de la victoire, une place en huitièmes de finale et la perspective d’apporter un peu de joie à un pays qui n’a pas été épargné par l’histoire.