Mise à jour le Février 2022
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Mardi 19 mars 2024 09:31 (Paris)

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Me Natacha Pierre - Une jeune Haïtienne se lance hardiment dans le domaine du droit criminel

La clientèle des contrevenants s’élargit à une vitesse effrénée. L’une des raisons de ce dérapage est que nous vivons actuellement dans une société de grande consommation au point de devenir avare, et par surcroît, qui aime tout posséder, très vite, dans la facilité. La tendance des actes illicites est à la mode. La plupart des gens ne se contentent plus d’investir de façon accrue dans les valeurs traditionnelles fondamentales comme être consciencieux, courageux, laborieux, appliqué, assidu. Il devient plus facile de falsifier un diplôme, de procéder à un détournement de fond, extorquer les naïfs gens et les citoyens de convictions n’ont qu’à bien se tenir s’ils ne veulent pas être la victime des malfaiteurs en puissance.

Côtoyer le monde du danger au nom de la loi

Loin de moi l’idée de faire un procès d’intention en sachant très bien que : « les fautes du fils sont les défaillances du père ». Sauf que certains faits témoignent de la complicité des aînés dans les agissements illégaux de leur progéniture qui s’étend d’une simple infraction ou un délit mineur ; en passant par une faute professionnelle grave, un crime passionnel, un crime contre l’humanité, des vols qualifiés à des meurtres crapuleux.

Quelque soit l’ampleur des méfaits, chacun a droit à une défense en raison du privilège universel de la présomption d’innocence inscrit dans le code criminel. Force à cette dense clientèle dans le secteur de la criminalité composée de bandes rivales de motard et leurs incessants règlements de comptes, l’accoutumance indécente de la pédophilie qui agit en fléau dans notre société. Le proxénitisme qui fait rage auprès des jeunes, les gangs de rue qui terrorisent la population par leurs cruelles revendications territoriales suffisent à remplir l’agenda des avocats en procès de toutes sortes. Ces prolifiques activités criminelles leur donnent du pain sur la planche. Me Natacha Pierre a bien voulu nous donner son point de vue sur le sujet.

Q. Me Pierre, le droit est une des professions les plus critiquées après le secteur de la politique. Vous ajoutez à votre situation l’option du droit criminel. N’est-ce pas faire preuve de témérité ?

R. Vous parlez de témérité dans le sens du défi ! Oui, cela prend un certain courage, de la détermination, une fermeté de caractère. J’avoue que les femmes sont moins présentes dans ce secteur du droit. Paradoxalement, dans ma vie privée, on me reconnaît comme une personne timide, réservée. Pourtant, sur le plan professionnel, je fonce à toute allure. Le droit criminel me permet de sortir de l’ordinaire. Je suis très motivée par la plaidoirie. J’ai le privilège de l’exercer pratiquement tous les jours dans le cadre de ma profession. Je ressens le besoin de mettre en application toutes mes connaissances en fuyant la routine et la stagnation.

Q. Avez-vous choisi cette profession de votre propre chef ou sous l’influence familiale ?

R. Mes parents m’ont apporté tout le support nécessaire. Je n’ai jamais eu de pression de leur part. Même si je devais changer d’orientation, je pense que j’aurais leur support.

Q. Voulez-vous nous brosser brièvement le cheminement de vos études. Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées au cours de cette expérience académique ?

R. J’ai entrepris mes études de droit à Sherbrooke. C’est un domaine où les étudiants absorbent beaucoup de théorie. En absence de stage tout au long du baccalauréat, il faut prouver qu’on a du potentiel. Au cours de mes études, j’avoue que je n’aimais pas particulièrement le droit des affaires. Ces cours sont nécessaires puisqu’on est travailleur autonome mais j’aime moins l’aspect technique. Dans le droit criminel, rien n’est prévisible. J’ai l’opportunité d’exprimer la beauté de mon métier en esquivant un peu l’aspect administratif.

Q. Êtes-vous procureur ? Pour le bénéfice des lecteurs, voulez-vous établir la différence entre un avocat et un procureur ?

R. Certainement, je suis avocate de la défense c’est-à-dire que je défends les citoyens, je ne représente pas la couronne qui, de son côté a la charge de l’accusation. Tous les avocats ne sont pas des procureurs. Le procureur est le magistrat qui a le mandat d’animer des débats devant le Juge ou lors d’un procès.

Q. Avez-vous l’impression que le monde criminel que vous défendez au nom de la loi est un monde menaçant pour vous ainsi que vos collègues ?

R. Je suis quand même nouvelle dans le domaine. Ce que je sais par contre, c’est qu’un client reste un client. Il faut toujours garder la ligne professionnelle pour ne pas entrer en conflit d’intérêt de quelque manière que ce soit avec le client. Jusqu’à présent, mes clients sont des personnes tempérées. De toute façon, avant d’accepter un cas, j’analyse, j’anticipe les rebondissements et le moindrement j’ai l’impression qu’une situation va à l’encontre de mes valeurs et mes capacités, je n’embarque pas.

Q. De quelle manière vos valeurs peuvent-elles primer sur votre devoir de défendre un citoyen ? Quelles sont vos valeurs personnelles ?

Dans la mesure où j’ai un certain doute que la personne peut être innocente, je répondrai à l’appel. Je prends pour acquis que je défens le droit de la personne si ses droits son lésés et non la personne en tant que telle. - Selon moi, il n’y a pas de Justice dans le sens intégral du concept. Il y a un juste milieu. Et je me porte à la défense des citoyens dans un esprit d’honnêteté, d’entraide en tenant compte de l’aspect thérapeutique ou du soutien moral.

Q. Selon vous, d’où vient le vieil adage qui veut : « Nul n’est sensé ignoré la loi » Alors que le monde du droit est très conservateur, les professionnels utilisent leurs propres jargons ?

R. Parce que fondamentalement, le droit est du domaine public. Tout le monde peut y avoir accès. De plus, tout se rapporte au droit. Lorsqu’on fait son épicerie, le commerçant nous remet un reçu c’est du domaine juridique. L’aspect juridique, contractuel est très courant dans notre vie. Certaines personnes se contentent d’avoir des idées préconçues concernant leurs droits et c’est dommage ! Il est vrai que la loi est faite pour être interprétée, c’est ce qui est superbe dans le domaine. Mais il faut bien l’interpréter et en sa faveur.

Q. Le système a été ébranlé plusieurs fois par des actes et propos venus de hauts lieux. Pensez-vous que le système judiciaire canadien et québécois est équitable ?

R. En général, le système en soi est juste. Il arrive parfois que les gens se demandent pourquoi un juge prend telle décision plutôt qu’une autre. Il faut comprendre aussi qu’il y a des cas particuliers où le juge doit prendre en considération plusieurs facteurs qui échappent au grand public dépendamment, s’il y a lieu, de l’antécédent judiciaire de l’accusé. Dans un cas semblable, le juge va rendre un verdict pour le dissuader ou pour le punir en cas de récidive.

Q. Me Pierre, la Justice est là pour corriger ou pour punir les citoyens ?

Il y a une nuance, mais j’insiste sur l’aspect dissuasif. Pour certaines personnes, le processus judiciaire, déjà enclenché, représente un aspect humiliant pour elles. Si on prend l’exemple d’un agresseur sexuel, celui qui est accusé d’un tel méfait éprouve un certain malaise à se présenter en Cour. Donc, l’idée de la punition est là. En réalité, même la sentence de prison est prévue par le code criminel pour dissuader les contrevenants.

Q. Pourquoi d’après vous la délinquance gagne de plus en plus du terrain dans la société québécoise. Doit-on mettre l’éducation familiale en cause ou le système d’enseignement qui fait défaut ?

R Je pense que c’est par la faute d’un certain manque d’encadrement. La plupart du temps, les jeunes ne savent pas à qui ils doivent s’identifier. À mes débuts, j’ai eu un choc au Palais de Justice de voir autant de jeunes qui ont affaire avec la Justice. Beaucoup se laissent aller par le découragement, ils sont livrés à eux-mêmes. D’un côté leurs parents ne sont pas disponibles pour eux. Et de l’autre, leurs profs ne les encouragent pas assez souvent cela résulte à une perte de contrôle familiale et éducative.- La situation n’a pas l’air de vous alarmer outre mesure Me Pierre, pourquoi ? - Je suis d’avis que notre société n’est pas si délinquante que ça comparativement à la société américaine par exemple. Du moins, les gens ne sont pas foncièrement délinquants. Au début, ils utilisent des moyens illégaux pour se sortir de leurs nombreuses privations et le tout se dégénère en hors la loi. Parmi les éléments déclencheurs, je peux citer la séparation, le divorce, les abus sexuels. Selon moi, les gens naissent bon. Il leur faut un encadrement adéquat, du soutien, de la motivation pour ne pas tomber dans l’engrenage de la délinquance qui est un cercle vicieux

Q. De plus en plus de citoyens se résolvent à se défendre eux-mêmes. Pensez-vous que cette attitude pourrait mettre votre profession en péril ?

R. Je dois dire que prétendre se défendre tout seul n’est pas la meilleure des solutions. Agir ainsi, c’est réduire au minimum ses chances. La plupart des gens le font pour des raisons économiques. Ils oublient que nous, les avocats, nous avons le pouvoir de négociation, mieux connu sous le nom de plea bargaining, avec les parties prenantes, mais eux, ils n’ont pas ce privilège.

Q. C’est que beaucoup de gens perdent confiance en leur représentant de droit. Vous ne l’ignorez pas Me Pierre ?

R. Dans tous les métiers, il existe des gens malhonnêtes qui tentent de leurrer leurs clients. Personnellement, je ne garantis rien aux clients. Je fais de mon mieux pour les défendre. La décision finale revient au juge. Des clients insatisfaits d’une sentence trop clémente ou trop sévère, il y en aura toujours. Ce qui est dommage, c’est que les gens mettent tous les avocats dans le même panier.

Q. En ce qui concerne le droit administratif, comme la Régie du logement, la Cour municipale, les citoyens ont une nette impression que leurs verdicts sont quasiment définitifs presqu’irréversibles. Que pensez-vous de cette situation ?

R. Je dirai que la majorité des gens négligent certaines procédures jusqu’à qu’ils se retrouvent au pied du mur. Au lieu d’avouer sa culpabilité en payant un billet de contravention, on peut le contester. Les recours sont là. Il existe un site internet : www.educaloi.com où il y a une foule de renseignements à ce sujet et d’autres domaines du droit. Il y a aussi des livres qu’on peut consulter et apprendre la procédure étape par étape.

Q. Une dernière question Me Pierre. Les erreurs judiciaires sont de plus en plus fréquentes au point qu’une association a été mise sur pied récemment. Ce dérapage est dû quoi ?

R. Cela signifie qu’il existe une faille au niveau du système. Plusieurs cas l’ont démontré. Le cas où l’analyse d’un ADN s’est révélé truqué : un test aussi fiable... Il arrive que la falsification de la preuve soit hors de notre contrôle. Ce sont quand même des humains qui gèrent le système. Je demeure très vigilante sur le point de la Charte des droits et libertés.

Par Marie Flore Domond




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