par Myrlène René
Quels sont les motifs qui expliquent le fait qu’une femme reste avec son conjoint...violent ?
Notre question a été étudiée sous l’angle d’autres variables structurelles telles que : la dépendance économique des femmes, de même que l’inégalité sociale des femmes, l’isolement social des femmes à quoi s’ajoutent la présence d’options sociales et le sens de l’injustice.
Nous avons retenu plus particulièrement comme variable : la dépendance économique des femmes parce que dans la recension des écrits, le manque des ressources matérielles a été identifiée comme "un facteur important pour empêcher la rupture de la relation conjugale violente". L’étude de Klamuss et Strauss (1985) illustre ceci en démontrant que « le niveau de violence conjugale est relié au degré de dépendance économique ». Strube et Barbour ont, eux, mesuré subjectivement ainsi qu’objectivement "la valeur explicative de la dépendance économique sur la tendance à maintenir la violence conjugale" (Bilodeau, 1987 :13)
Dans un même ordre d’idées, les études de Strauss (1980), Pahl (1985), Homer et collaborateurs (1985) et Freedman (1985) font remarquer que les difficultés financières, le fardeau des responsabilités et la perspective d’une pauvreté encore plus grande, peuvent préserver une relation conjugale violente. Ces études révèlent que près de la moitié des femmes incluses dans l’étude, dont le revenu familial équivalait à 100 et 140% du seuil de pauvreté, sont retournées vivre avec leur partenaire violent.
Ces difficultés financières se traduisent en insécurité matérielle qui, selon le Groupe de recherche sur la violence à l’égard des femmes (1980), Mardsen et Owens (1975), et Roy (1977), retient les femmes violentées auprès de leur partenaire. Ces dernières "ne peuvent penser à quitter leur agresseur, car elles n’ont pas d’argent pour assumer les conséquences de cette décision" (Shee, 1981 : 49).
À la question monétaire, Martin (1976), Roy (1977) et Walker (1979) ajoutent, comme raisons faisant revenir à la maison les femmes ayant quitté le foyer conjugal, les promesses de changement du mari et le bien-être et la sécurité des enfants. À ces éléments économiques et sociaux, des études plus rigoureuses font ressortir les conditions culturelles et les facteurs psychologiques qui entourent le fait qu’un grand nombre de femmes demeurent dans la relation conjugale violente. (Bilodeau 1987, p.13)
Sous l’angle de la socialisation sexiste, les équipes de Zurich et de Lyon (1989) démontrent que la structure sociale demeure fondamentalement patriarcale malgré l’affirmation de l’égalité des droits entres hommes et femmes. Le partage des tâches sociales est en effet organisé selon une hiérarchie sexuelle où les hommes sont engagés dans le processus de production et les femmes, dans celui de la reproduction. Le premier est rémunéré par un plus grand salaire représentant symboliquement la valeur de l’effort fourni. Le manque de reconnaissance financière du rôle de la femme au foyer, selon les intervenants de Lyon et Zurich, la met dans une relation de dépendance économique totale. Pour un même travail, selon eux, le revenu de la femme est inférieur à celui de l’homme., et ses possibilités d’accès aux postes à responsabilités et aux carrières sont limitées.
Ce qui illustre bien ce phénomène, c’est la révélation de Statistique Canada (1987) selon laquelle, malgré l’existence des programmes d’accès à l’emploi pour les femmes au Québec, lorsqu’il s’agit d’un travail d’égale valeur, les femmes gagnent en moyenne 32,12 %1 de moins que les hommes (comité des évêques, 1989 : 37). La structure sociale semble donc basée sur le rapport "dominant-dominé" qui existe depuis des millénaires et reste toujours une réalité, car elle perdure à travers l’éducation sexuelle, les représentations du masculin et du féminin et les mythes qui, outre le malaise masculin et ses représentations, exercent une grande influence sur la problématique de la violence conjugale. Parmi ces mythes, celui lié à l’amour, de "de ne faire qu’un" est souvent entretenu par la religion selon laquelle "vivre à deux signifie se déverser dans l’autre, tout lui donner jusqu’à ne plus rien avoir en soi. Penser à l’autre au point de s’oublier soi-même, être tout à l’autre, lui appartenir..." (Cattori, 1993 : 82).
C’est sans doute, au nom de ce mythe, affirment les intervenants de Zurich, que la femme battue, souvent, garde le silence et reste dans la relation.
D’autre part, Loseke et Cahill (1987) ont distingué entre deux facteurs explicatifs : une première catégorie de contraintes internes qui renvoient à l’expérience et au processus de victimisation et au lien émotionnel victime/agresseur ; alors que la deuxième catégorie, dite externe, renvoie à la socialisation et aux rôles sexuels qui y sont étudiés, par le biais de ces quatre variables :
1. la dépendance affective
2. la faible estime de soi
3. l’incapacité apprise et
4. la conception traditionnelle du rôle d’épouse et de mère économique.
Notre intérêt portera plus particulièrement sur les deux dernières variables (3 et 4) : l’incapacité apprise et la conception traditionnelle du rôle d’épouse et de mère économique qui apportent des éclaircissements sur notre sujet.
L’incapacité apprise, tout d’abord, est définie dans l’étude de Walker(1979), selon une perspective psychologique, comme un facteur de susceptibilité qui gêne les habiletés de la femme victime de violence conjugale à fuir ou à interrompre les comportements violents. Wlaker distingue deux formes d’incapacité apprise : 1. première : celle qui est le fruit d’une socialisation sexiste. 2. deuxième : celle quoi est renforcée par la tolérance sociale face à la violence conjugale.
Selon des études de validation, il n’y a pas de lien entre ces deux formes d’incapacité apprise. Ceci entraîne selon Bilodeau, que l’incapacité apprise, qui est le fruit de la socialisation, n’est pas un facteur de susceptibilité à la violence conjugale. Ces résultats, au dire de Bilodeau, amènent certaines critiques à considérer l’incapacité apprise plutôt comme une réponse à la violence qu’une cause de celle-ci.
Nous serions plutôt d’avis que nous sommes ici en présence de deux phases d’un même processus. Dans un premier temps, la socialisation sexiste, elle-même découlant de l’idéologie traditionnelle, indique chez la femme un premier sentiment d’incapacité vis-à-vis de l’homme, l’inclinant à accepter un homme dominateur et probablement violent. Dans un deuxième temps, la violence exercée sur la femme sera en effet à son tour, le cas échéant, cause d’un sentiment d’incapacité ou plutôt cause de renforcement de ce sentiments ayant pris naissance lors de la première phase.
Parmi d’autres causes possibles, Pizzey (1973) suggère que la peur immobilise les actions des femmes. D’un autre coté, Gropper et Marvin (1976), et Van Stolk (1976) proposent que ce sont des sentiments de culpabilité qu’éprouvent plusieurs femmes (Shee, 1981 : 49)
L’isolement social est pour nous un des facteurs les plus importants venant renforcer les tendances de l’idéologie traditionnelle et permettant à l’insécurité financière de faire son œuvre. Il correspond au manque d’amour et au manque d’entraide dont parle Jésus à travers la Bible. Il peut être aggravé par l’isolement géographique, quoique ce ne soit généralement pas là sa cause principale.
Le centre des femmes l’Aurore et le Collectif d’intervention auprès des femmes victimes de violence (1986) révèlent que dans les milieux ruraux, il y a des femmes souffrant d’un double isolement, géographique et social. Ce qui fait que pendant des années, ne sachant pas comment s’y prendre pour partir, elles ne peuvent se soustraire à la violence de leur mari. Isolées par la peur, la honte, et par le silence qui planent sur leur vécu, elles étouffent de culpabilité. Les amis, profitant de ce manque de ressources, brisent tous les contacts autour d’elles et les privent d’argent pour mieux les contrôler. Ceci est aggravé par le cloisonnement de l’information, autour du cercle familial, qui se pratique dans les petits milieux. Il est assez fréquent que les femmes se réfugient chez des membres de leur famille qui auront tendance à maintenir le silence sur cette situation jugée "honteuse" pouvant jeter le discrédit sur la famille. Ce que nous atteste le grand nombre de femmes vérifiant méthodiquement les noms des employés du centre des femmes ou du CLSC avant d’exposer leurs problèmes, de peur de rencontrer une parenté ou une connaissance. Ceci est doublement confirmé par les témoignages des femmes qui avouent que leur famille leur prête peu d’attention lorsqu’elles tentent d’exprimer leur vécu douloureux. On leur réplique : "N’oublie pas que tu l’as marié pour le meilleur et pour le pire". Les chercheures du Département de Santé communautaire de Rimouski (1986) font ainsi état de ce double isolement géographique et social :"Ces femmes vivant en milieu rural se retrouveraient devant un choix plus difficile que les autres femme : conserver ou recommencer à zéro en s’éloignant définitivement de leur milieu de référence" (Gratton, 1992 : 83-84)
Certains auteurs fonctionnent de façon synthétique plutôt qu’analytique ; ils se basent sur plusieurs facteurs à la fois. Gelles (1976) est un de ceux-là. Les résultats de ses travaux l’amènent à faire entrer en ligne de compte trois raisons qui influencent les victimes dans leur décision de demeurer à la maison :
1. la fréquence et la régularité peu élevées de la violence ;
2. le taux de victimisation de leur enfance : plus elle a été battue par ses parents, plus elle hésitera à quitter leur partenaire ;
3. le peu de ressources personnelles qui retiendra les femmes à faire appel à quelqu’un.
Truvinger (1971) énumère quant à lui sept raisons qui influencent la décision des victimes :
1. image très négative de soi ;
2. croyance que le mari va changer ;
3. manque d’argent ;
4. présence d’enfants nécessitant le support économique de leur père ;
5. croyance qu’elles ne peuvent vivre seules ;
6. croyance que le divorce les stigmatisera ;
7. difficulté de travailler avec la présence d’enfants. (Shee, 1980 : 48)
Tout compte fait, cette recherche exploratoire nous a apporté des connaissances valides et des réponses partielles sur la problématique des femmes violentées qui restent dans leur relation conjugale violente. Elle a mis en lumière plusieurs facteurs qui font en sorte que la femme reste prisonnière de cette relation. Ces facteurs sont : les croyances, les lois, les valeurs religieuses, etc. qui constituent l’idéologie traditionnelle. À ces facteurs s’ajoutent l’insécurité financière, la dépendance économique, l’isolement géographique et social...
À suivre : Pourquoi les femmes violentées maintiennent-elles leur union conjugale violente ?
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