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Ces divinités qu’on croit détruire... Tu l’as dit, écrivain.

A propos de la déprédation de statues hindoues en cette fin de mois de mai dans un temple de Basse-Pointe en Martinique ...

- Destruction de statues hindoues : un crime contre le patrimoine martiniquais par Gerry L’Étang

(=> lien vers l’article)

- Ces divinités qu’ils croient détruire... par Raphaël Confiant

(=> lien vers l’article)

Ces divinités qu’on croit détruire... Tu l’as dit, écrivain.

Elles pourraient leur donner un bon bok, une bel kabech, ceux qui croient dans leur cœur que c’est bien fait ce qui est arrivé à nos statues là. De son rituel du krazé-sa, le veule, il a encore lâché son frein. Tout ce qu’on ne comprend pas, on kraz. Tout ce qui est ancien, on kraz. Tout ce qui est nouveau, on kraz. Au nom du factice. Des statues qui ne t’ont rien fait, que je sache, tu massacres. Pour qui ? Parce que tu es mal, tu t’exorcises en cognant ta propre image dans un miroir de pierre enjolivée d’innocence.

Peuple de fêlés que nous sommes, on ne s’en sort pas, avec toute les grâces reçues dans ces îles-là, pas fichus rester tranquille à contempler un petit moment l’espace profond qui est à nous, entre deux idées volées. Faut qu’on écrase quelque chose pour sentir qu’on a une quelconque force en soi.

Aujourd’hui il y en a des qui pleurent le geste malsain, parce qu’on a, allez, évolué un peu. Mais dans le temps où tout disparaissait, qu’on pilonnait l’héritage, où est passé ce que nos ancêtres ont apporté, et ont créé ? Pas de quoi faire un musée ! On l’a jeté nous-même parce qu’on se faisait honte ! Et le petit peu qui reste ne voilà-t-il pas qu’il y a encore des inutiles que ça gêne. Or, or ! Tambour va !

Il faut refaire de plus grandes. Des grandes, grandes, grandes statues, des remake géants des divinités de villages qui accompagnèrent nos ancêtres à où l’affamé de sucre avait déjà dépouillé et égorgé un autre indien. Madévilin sabre brandi ! Kalimaï ennemie du mal ! Kanavédi, chasseur d’obstacles ! D’immenses statues, des visibles et des invisibles, des réelles de pierre et des virtuelles de l’onde, des présences nécessaires, au regard plein de force et de douceur, troisième œil comme un laser, doigt pointé nettoyeur et bénisseur, main imparable et guérisseuse. Les mettre bien en haut des mornes pour chirurgier et rapiécer ces cœurs lacérés qui se lassèrent d’aimer. On ne doit pas se lasser d’aimer ! Il faut refaire illico ce qui a été dérespecté, rebâtir de plus belle ce qui a été profané par un geste macaque que Singe lui-même ne fait pas, geste de piètre allure qui insulte notre conscience au lieu de la nourrir, acte bidon qui montre que tout l’intellect des écoles, le prêche des églises, la sauce macabre des média et le talent mièvre de nos artistes faciles n’ont fait de nous qu’un paquetas qui tait son âme belle sous une arrogance de polichinelle.

Il faut que l’indien qui a tant apporté cesse pour de bon de croire qu’il mérite aussi le sort amer de l’amérindien. Il faut qu’il ranime son patrimoine, qu’il le redécouvre en son tréfonds plutôt que nulle part, qu’il le multiplie, qu’il l’éclaire, qu’il le répande à verse sur cette culture du panache, de l’eh, oh m’as-tu vu, comme il a sauvé la canne de ses larmes sur cette terre sans demander merci, ces îles qui sont tout aussi à lui qu’à l’un et à l’autre. Sans plus se cacher à lui-même, fouiller aussi sa propre histoire.

Sueur dans les cannes, virtuose du coutelas, invocations dans les temples, éducation à l’enfant, services rendus sans compter, prières et chants sacrés suivis de manger pour tous... un amour qui se prolonge... Une vieille donnait hier trois petits citrons à une infirmière qui s’était occupée d’elle sans compter, l’infirmière qui se lève le matin à trois heures pour prendre sa voiture et aller faire la toilettes des vieux... Impotents au grand cœur, elle a repris espoir et confiance dans le fond de l’Être pour trois petits citrons reçus d’une vieille main d’or. C’est ça, zendien. C’est sa, kréyol. Pas toute cette farandoles sur marbre qui brille, ce défoulement qui pétarade, ce bruit omniprésent, cet énervement pour un oui ou un non, ces grandiloquents immeubles où le jour n’entre pas. C’est citadelle bâtie dans le cœur de l’homme, c’est la flûte des mornes, c’est le chant du matin, c’est la prière et le pardon, le conciliabule et le doux silence intérieur. L’être son là. Là, là même là.

On ne tuera pas l’Être, et ce qui est donné est bien donné, Moi, enfant malabar traité de coolie quand j’apprenais à lire, je continuerai de cultiver l’enfant du peuple sans regarder qui est là et d’où venait son ancêtre. Mais je te redirai toujours en méga agouba la parole de mes vieux : apprends à t’aimer d’abord avant de jalouser l’autre, cherche en toi-même qui tu es sans ces étiquettes de société d’ailleurs, vois où est ta nature profonde et créatrice, aimante et protectrice de vie. Généalogiste, sache qui était ton ancêtre, et pourquoi il franchit l’océan.

Car à force de te tuer toi-même à vouloir que l’autre te respecte avant même de faire ta petite toilette, tu te renfonces dans ton propre trou. Et tu ne t’en sors pas, et l’encrabeur fait chaque fois de toi son nannan.

Les saints, les divinités, les êtres de lumière ne meurent pas. Leur vraie nature, c’est notre profondeur et notre hauteur, le compas de notre compassion, notre humilité sans l’humiliation.

Les retours de massue peuvent être, hélas, costauds...
Nou pa té bizwen sa !

par Jean S. Sahaï, 1er juin 2006.




BÔ KAY NOU


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