Au moment où je mène campagne en tant que candidat du parti radical pour le siège de député de la deuxième circonscription des Français de l’étranger, qui couvre 33 pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe, je m’interroge sur ce que devra être mon rôle, demain, à l’Assemblée nationale française vis à vis d’Haïti si je suis élu les 2 et 16 juin par mes compatriotes.
En tant que militant du plus ancien parti de France, engagé dans un combat permanent pour faire valoir les valeurs de l’humanisme et de la raison, j’ai la conviction qu’une part substantielle de mon activité parlementaire devra prendre en compte les intérêts des 1360 Français d’Haïti, qui sont indissociables de ceux de leur pays d’accueil.
A cet égard, le constat est partagé par tous : il faut sortir Haïti de la misère et du sous développement endémique créé par l’effondrement des structures étatiques, la mauvaise gouvernance et les effets tragiques des catastrophes naturelles qui ont culminé dans le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Ceci répond d’abord à un devoir moral à l’égard de nos frères haïtiens. Il s’agit aussi d’un impératif de stabilité régionale vis à vis d’un pays qui pourrait atteindre les 20 millions d’habitants à la fin de la décennie et qui ne peut dériver sans dommage pour son environnement caraïbe. Le retour à une souveraineté pleine et entière d’Haïti et la prise en mains par les Haïtiens de leur développement économique et social sont étroitement liés à la réalisation de cet objectif de développement. Comme l’a rappelé à juste raison le représentant de la France au Conseil de sécurité le 8 mars dernier, je crois aussi que la MINUSTAH « n’a pas vocation à rester indéfiniment en Haïti pour maintenir l’ordre ou pour faire de la reconstruction et développement ». L’objectif de court terme que nous devons nous fixer, selon moi, doit tendre à un départ organisé, graduel et discipliné de la force des Nations-Unies. Mais cela ne sera possible que si les conditions du retrait existent réellement sur le terrain. C’est à ce stade du raisonnement que l’on touche à l’essentiel de ce que doit être notre politique à l’égard de ce pays frère : remettre Haïti sur la route du développement, en mettant en œuvre une nouvelle politique.
Celle-ci doit être basée naturellement sur la réalisation de politiques coordonnées, appuyées par les financements internationaux : la reconstruction des villes, avec un code de l’urbanisme et de la construction et un cadastre rénové, la remise en route des écoles avec une fonction médico-sociale affirmée, l’attention portée aux infrastructures de base, la reforestation de l’île et le développement des ressources agroalimentaires essentielles constituent quelques-uns des principaux points d’action. La France doit y participer activement, tant au titre de sa relation historique avec l’île qu’au regard de l’effort financier particulier qu’elle accomplit pour Haïti.
Mais la mission fondamentale de la France doit être plus exigeante et d’un ordre supérieur. Notre pays doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire en sorte que le peuple haïtien reprenne lui-même les rennes de son destin et renoue avec l’esprit de la Déclaration du 1er janvier 1804. Nous devons contribuer à redonner confiance aux Haïtiens en eux mêmes, ceux de l’île bien sûr, mais aussi ceux de la Diaspora qui peuvent apporter à leur patrie un regard novateur et l’exemple d’administrateurs préoccupés du seul bien commun. La reconstruction de l’Etat haïtien ne doit pas être l’occasion de laisser porter un nouveau mauvais coup au peuple d’Haïti. Le rouleau compresseur de l’anglicisation en cours chez les bailleurs de la coopération internationale doit nous préoccuper sérieusement car au-delà des coups sévères portés à la francophonie, il aboutit à « évincer d’avantage la population haïtienne » de la reconstruction comme l’ont démontré avec talent des observateurs québécois de ce phénomène pervers.
Alors, plutôt que de laisser mollement s’instaurer l’anglais comme langue par défaut d’une nouvelle super-élite locale internationalisée et prébendière, coupée d’une masse appauvrie, sous-éduquée et créolophone, je propose que la France consacre des moyens conséquents à mettre en œuvre en Haïti une grande politique linguistique qui consacrerait effectivement la place du créole, parlé par 80% de la population. Cette politique commencerait symboliquement par la rédaction en créole de la Constitution nationale et la traduction systématique des lois et règlements du français en créole. C’est la seule voie pour réduire efficacement l’analphabétisme, mais aussi pour créer en profondeur les conditions de la confiance du peuple dans des institutions qu’il peut comprendre et donc faire siennes. Elle démontrerait également au monde entier que la francophonie vivante répond aux besoins effectifs d’un peuple noble et généreux qui aspire à se recomposer matériellement, mais aussi socialement, culturellement et moralement.
Pour ma part, c’est une mission à laquelle je crois de toutes mes forces. Elle me mobilisera au Parlement en tant que député des Français d’Haïti si je suis élu en juin 2012 et me trouvera toujours aux côtés de mes compatriotes qui, sur le terrain, mettent tout leur cœur et leur savoir faire au service d’une tâche noble et ambitieuse.
Bogota, le 4 avril 2012