Mise à jour le 26 septembre
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Vendredi 13 d&ecute;cembre 2024 23:31 (Paris)

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Le pays est malade (1er Épisode)


Ce roman politico-socio-culturel haitien de bandes dessinées Haiti cherie est tiré d’un fait réèl et titré d’une chanson des Skah-Shah # 1

Note : Cette histoire a été ecrite depuis 25 ans à partir d’un fait réèl. Aujourd’hui, pour rappeler à tous les Haitiens et Haitiennes leurs douleurs et mésaventures afin d’arriver à une vraie réconciliation nationale, l’auteur a jugé bon de publier une partie au bénéfice de tout un chaqu’un. Bonne Lecture à tous !

NB. Plus qu’un roman, c’est une histoire vraie de la vie politique haitienne contée par un ancien exilé. Nous avons seulement pris le soin de faire l’arrangement, de changer les noms de certains acteurs et quelque faits pour garder l’anonymat.

Par Frantz Siméon

Interdit aux mineurs
"Ti mine pa gen dwa li woman sa a"

RESUME : 7 Février 1986, Incroyable mais vrai ! Une nouvelle faisait la une à travers la presse internationale. Les journaux, radios et télévisions du monde entier ne faisaient que parler d’Haiti et de son peuple qui venaient d’obliger le président Jean Claude Duvalier surnommé “Baby Doc” et ses acolytes à prendre l’avion envoyé par le gouvernement américain, pour l’exil en France.

2) A “Sabana Grande", une banlieue de Caracas-Vénézuela, un pianiste haitien jouait tous les soirs à la “Discoteca La Sensacion" pour gagner sa vie. Depuis plusieurs années il interprétait à ce centre de distraction, les compositions des meilleurs artistes du monde et jouait ses propres trouvailles de 9 heures du soir à 5 heures du matin, pour le plaisir des uns ou pour faire danser des autres…

3) …Avec le coeur lourd et l’âme tristement perdue dans une mélancolie nostalgique, il se contentait de regarder les autres rire comme pour ridiculiser l’ indépendance de son pays et sa fierté d’être héritier des premiers noirs qui ont osé défier la classe blanche en brisant en 1804, avec bravoure et détermination, les chaines de l’esclavage.

4) Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, dit-on. Mais pour Raymond ce n’était pas le cas. Il voulait recevoir quelque chose en retour pour la joie qu’il procurait au public, mais quoi ?

5) Les billets de 20, 50, 100 bolivards que les clients déposaient au plateau sur le piano comme pourboire, l’insultaient davantage dans son orgueil d’homme, sa mélancolie, sa nostalgie et sa douleur de renoncer à son pays pour quémander l’aumône en terre étrangère, une terre qui doit surtout sa liberté à son compatriote, Alexandre Pétion. Est-ce pourquoi il frappait avec rage les claviers au moment d’exécuter son morceau préféré de tous les matins avant de laisser le travail. “Haiti cheri pi bon ti peyi pase w nan pwen…”

6) Ce matin là, contrairement à tous les autres, Raymond n’avait pas de sommeil, il avait des préssentiments qu’il ne pouvait deviner encore, mais loin de penser qu’il s’agissait du départ des Duvalier de la terre des braves.

7) Comme il avait l’habitude de le faire deux fois par mois, il se dirigeait au bureau du gérant responsable du luxueux établissement pour lui remettre le rapport de la quinzaine afin de préparer son chèque. Et là, le musicien haitien lui parlait de son jour de paiement qu’il considérait un jour de gloire, car il avait des factures à payer. Mais l’administrateur qui avait entendu la nouvelle que l’exilé n’avait pas encore, lui félicitait pour autre chose ...

8) (Raymond) La patience est amère mais son fruit est doux. Il est toujours bon de souffrir avec courage quand on attend le jour de gloire. Voici mon rapport de la quinzaine.

9) (l’Administrateur) Mon cher, franchement je vous félicite.

10) Toutes les félicitations reviennent à mon feu père qui m’a enseigné les premières notes du piano, il était un as du clavier, lui…

11) Mon cher, vous êtes un peuple vraiment formidable, franchement vous étonnez le monde… Bien, il faut préparer des morceaux spéciaux pour ce couple qui invite des amis ici ce soir à l’occasion de leur 20ème anniversaire de mariage.

12) J’espère que cette “libération” ne vous empêche pas d’être là à temps, car les millionaires n’aiment pas attendre. Il ne faut surtout pas oublier de jouer Beethoven, une histoire d’amour, ect…

13) Très bien “Señor Rafael” pourvu que ça ne m’empêche pas de jouer “Haiti chérie” qui est ma musique préferée.

14) Raymond ignorait de quoi voulait parler “Señor Rafael,” car avec sa mode de vie de dormir le jour pour travailler la nuit, il avait perdu tout contact avec les nouvelles.

15) Qu’est ce qu’il a voulu me dire quand il a parlé de “libération” ? Ah ! Combien j’attend vraiment un jour où Haiti, mon pays, sera libérée pour que je puisse revoir les miens.

16) …Et comme il ne pouvait pas dormir, il pensait aller visiter les magazins de disques afin de trouver quelque chose de nouveau à interpréter au soir.

17) Comme un bohémien, un gitan ou un “chyen san mèt,” il se perdait parmi la foule d’une rue commerciale quand, soudain, un rythme familier attirait son attention : “Maten an, mwen kouche zye m louvri, gen yon doulè k chita sou kè mwen, mwen sonjeeee peyiii mwen, Ha-i-ti pe-yi mwen…”

18) Mon Dieu ! Mais, c’est une musique haitienne, ça ! C’est le compas direct de Nemours Jean-Baptiste !. On n’entend presque pas ça chez les disquaires d’ici. Non ! “Fòk mwen al achte mizik sa a papa”.

19) “Buenos Dias, Señora” pouvez-vous me dire combien coûte ce disque ? Ou plutôt, le prix importe peu, passez moi le disque, s’il vous plait. Je paie n’importe quoi.

20) Si vous voulez une copie sur cassette, je peux vous en faire une, on ne le vend pas ici. C’est un cadeau d’une amie haitienne qui étudiait avec moi à New York. ...

21) …Je suis tellement contente pour elle qui attendait ce grand jour de la libération du peuple haitien, qu’en apprenant la nouvelle par la presse ce matin, j’ai apporté ce disque pour fêter avec elle le départ des Duvalier afin de partager sa joie, malgré la distance qui nous sépare.

22) Quoi !! Le départ de qui ?... des !... des Duvalier ! ... vous dites des Duvalier ? … d’Haiti ! … Mon pays ?... Mon !… Mon très cher pays ?… La !.. Lala !… La perle des Antilles ?

23) Notre compatriote était devenu comme fou en un clin d’oeil. Il ne croyait pas ses oreilles. Seul son ami Rhinosson qui était aussi un exilé et qui collectionait toutes les nouvelles d’Haiti pouvait affirmer cette dernière.

24) Taxi ! Vite “El Paraiso, por favor”

25) Quelques minutes après, Raymond était à "El Paraiso", (une autre banlieue de Caracas) chez son ami Rhinosson, un activiste qui, comme dit le diseur Maurice Sixto, avait deux “bougies” allumées, une pour la libération d’Haiti et l’autre pour voir le pays continuer davantage sous une dictature quelconque, car de la lutte anti-dictoriale vivait-il. Et il n’était pas le seul parmi les exilés haitiens du monde.

26) Est-ce vrai ce que j’ai entendu Rhinosson ?… Dis !… Dis moi que je ne rêve pas "ti papaaa !". Dis-moi enfin que je vais revoir ma fille, celle qui était ma femme, mon pays. Dis moi que je vais enfin revoir Champs de mars, Bicentenaire, Bel-Air, Croix-des-bossals, La plaine, etc…

27) Calme-toi ! Calme-toi, mon ami ! On ne peut pas encore crier victoire…

28) …Toutes les nouvelles sont confuses, quelques unes disent que Jean-Claude est parti pendant que d’autres affirment qu’il est encore au pays. Nous devons attendre un peu…

29) “Lafimen pa janm soti san dife !” Ce qui compte, c’est qu’il y a définitivement un torchon qui brûle là-bas ! Oh ! mon Dieu, "ti peyi m lan, ti Haiti m lan, ti tè papa Dessalines mouri kite pou mwen an ap libere vreee !!"

30) Ça, tu peux le dire. Ce journal, par exemple, a même rapporté qu’aux Gonaives le peuple ne veut plus entendre parler de Duvalier et de ses macoutes.

31) Fantastique ! Fan-tas-tique !!! Bravo Gonaives ! Bravo ! Bravo Bra-vo peuple haitien de mon coeur ! Bravo "pèp vanyan !" Bravo, héritiers des premiers noirs libres du monde entier ! Bravo les racines de l’arbre de la liberté des noirs de Toussaint Louverture ! Bravo ! bravo !! et "fout" bravo encore !!! “M fout renmen w pep vanyan. M fout damou pou ou pep ayisyen” !

31a) Et le pianiste joyeux qui avait la musique dans le sang ne pouvait s’empêcher de danser et "pyafe" en chantant :

31b) Danbalah Wèdo, se bon, se bon ! Ayidah Wèdo, se bon, se bon eee ! Lè map sele chwal mwen gen moun kap kriye ! Lè map fout moute chwal mwen gen moun kap kriye ! Lè pep ayisyen moute chwal li gen moun kap kriye !…

32) Rhinosson, mon ami. Je savais qu’il n’y a pas d’exil qui peut durer cent ans ni de citoyen qui peut l’accepter. “Dlo dòmi sa a yo te bay pèp la bwè a, m te konnen yon jou fòk li te fout vomi l jete !”.

32) Enfin, l’important, c’est qu’il y a un vent de révolution qui souffle sur ce pauvre petit pays malade. Malade depuis bien avant Duvalier.

33) Tu dis depuis bien avant Duvalier ?

34) Oui ! Le problême haitien ne fait qu’empirer quand François Duvalier arrivait au pouvoir avec le macoutisme qui n’est qu’un système revu et augmenté. Pour traiter le mal haitien, il faut aller beaucoup plus loin du Duvaliérisme.

35) En tout cas, tout ce qui nous intéresse maintenant, c’est le départ des Duvalier, le reste viendra après.

36) A cela arrivait Charles Alerte, un autre exilé haitien qui habitait Caracas et qui avait délogé pour habiter Miami. Mais sa reconnaissance pour sa première terre d’accueil où il a aussi des enfants, ne lui permettait pas de passer un an sans y retourner pour quelques jours.

37) Ah ! Charles ! Tu es arrivé juste à temps. Dis nous ce que tu as appris des Etats-Unis du tyran Duvalier.

38) Il est parti…"Pongongon an kite peyi Dessalines lan." Le salaud a pris l’avion au cours de la nuit dernière.

38a) "An ! Men li papa ! Men liii ! Ha ! Ha ! Ha !... Peyi m fout libere !! Ha ! Ha ! Ha ! ... Mèsi lèsen, lèzanj ak tout sa m pa wè yooo !!! ..."

39) Hmmmh !… Charles, tu connais Raymond, le fameux pianiste haitien qui fait parler de lui à travers la vie nocturne d’ici ?

40) Oooh ! C’est lui, celui qui a placé “Haiti chérie” sur toutes les lèvres ! Quelle joie de faire votre connaissance, distingué compatriote !

41) Mon cher, laissez-moi avoir le plaisir de vous serrer la main pour vous féliciter personellement.

42) Allons, allons, mon cher ! Pourquoi tout ce mystère ? On est tous des frères victimes d’un dictateur commun ! " Annou met tèt nou ansam pito pou n rebati peyi n."

43) Depuis, Raymond et Charles se sont liés amitié. Charles lui avait donné rendez-vous à l’hotel Caracas Hilton où il avait l’habitude de se loger chaque fois qu’il retourne à la ville de Simon bolivard. Rendez-vous que notre fameux pianiste avait vite accepté, car il voyait en Rhinosson un Haitien qui ne voulait pas encore accepter la réalité d’un brave peuple, le peuple haitien. Le départ des Duvalier, en quelque sortes, était au désaventage de ses affaires personels. Avec Charles, notre héros se sentait plus confortable de parler de la révolte populaire haitienne.

44) Franchement, Charles, je ne voudrais pas rester une minute en plus en terre étrangère.

45) Tu parles, toi ? Mon cher, les spécialistes de la médecine ou de la magie noire devraient inventer une pillule à boire pour disparaitre d’un pays et réapparaitre dans un autre, comme ça ils gagneraient toutes mes économies.

46) Raymond abandonnait le premier la maison de Rhinosson, laissant ses deux compatriotes en pleine conversation. Déjà, il préparait son retour à la terre natale. La tête pleine d’espoir et de projets pour “lakay” ne lui permettait plus de penser aux notes de musique. “Abas DO-RE-MI-FA-SOL-LA-SI” -pensait-il pour l’instant.

47) Il se dirigeait au luxueux hotel discothèque “LA SENSACION” où il avait laissé une lettre au gérant responsable pour lui remercier au nom de l’amitié de Pétion et Bolivard, et lui dire que non seulement il n’allait pas revenir travailler ce jour spécial, sinon à jamais, car "lakay mande pou li..."

48) En passant à côté du piano, il regardait l’instrument comme on fait à un ami à qui on a toujours confié ses peines, ses déboires, ses chimères et sa nostalgie, un ami le seul qui connait le fond de ses pensées et les motifs de ses douleurs. Là, avec une indescriptible tristesse melée de joie et de souvenirs inoubliables, il se communiquait avec le piano en pensant :

49) Je regrette, mon ami, "se kouto sèl ki konnen sa ki nan kè yanm". Je dois te laisser car mon pays est malade. Il appelle tous ses fils pour un traitement national, je ne peux pas manquer a ce grand rendez-vous. Pardonne moi si je dois te fausser compagnie, car, comme on ne vit pas sans se dire adieu, parfois, la séparation est utile.

50) Quelqu’un lui avait dit qu’il commettait des erreurs en abandonnant son travail et en vendant tout ce qu’il ne pouvait pas apporter avec lui dans un pays où il devra pratiquement recommencer la vie. Mais, il avait tellement confiance en l’avenir et en son peuple qu’il ne faisait que penser "kay vwazinay se pa kay pa w…". Sa confiance augmentait d’avantage quand la Venevision et la Radio Caracas Television confirmaient définitivement la nouvelle.

51) “Regresamos con nuestras noticias !…” Si le public vénézuélien et nos frères haitiens exilés ici depuis des années, avaient encore des doutes sur le départ de Jean-Claude Duvalier… Nous confirmons la nouvelle… Félicitations au brave peuple frère pour avoir defié la dictature !…

52) Une crampe de joie faisait jaillir du sang nouveau dans les veines de Raymond. De la fenêtre de son appartement, il contemplait avec admiration et reconnaissance la ville de Caracas comme s’il voulait la remercier pour l’hospitalité… Déjà, il revoyait sa fille, son “ex-femme” et la patrie chérie, le pays où le soleil rechauffe toujours les coeurs, là où chaque son est un poême et chaque vue un roman… “Oui, ma terre natale est incontestablement belle et romantique” -pensait-il-.

53) Plus tard, il se rendait au rendez-vous de Charles où les deux nouveaux copains échangeaient les mauvais souvenirs qui leur obligeaient à chacun de son côté à laisser le pays de nos aieux, la nation qui a dicté la liberté aux noirs, à tous les noirs, aux sud-américains, et qui, pourtant, est attaquée par une maladie dictatoriale qui repoussait ses propres fils.

54) …Mon frère a eu moins de chance que moi, il est mort d’une façon mystérieuse au Pénitencier National.

55) Tu dis "moins de chance" que toi ? Mon cher, que son âme repose en paix…

56) Tu as raison ! Car, si je vous raconte mes peines et péripéties en exil… Je préfèrerais mille fois mourir et enterrer chez moi pour rejoindre nos braves pères.

57) Tout d’abord, cesse de me dire “vous.” Maintenant que le pays est libéré, pensons au moyen le plus sûr pour gagner le temps perdu. Commençons par sentir cette liberté à travers l’amour fraternel que nous devons avoir l’un pour l’autre. A bas la dictature ! A bas le modalisme !

58) C’est vrai ! Tu as raison.

59) La liberté, L-I-B-E-R-T-E accent aigu ! C’est tout ce qu’il nous fallait pour finir avec l’ennemi et faire progresser notre pays. J’ai ma raison de le dire, car, quand je me rappele comment j’ai été accusé, arrêté, jugé, et emprisonné au Pénitencier National, à Fort-Dimanche, oufff ! …

60) …Puis exilé après 7 ans de prison pour un acte que je n’ai pas commis, un compte mal taillé qui a détruit mon précieux foyer au bénéfice d’un rival tout puissant…

61) Tout de suite, avec larmes aux yeux, les mauvais souvenirs remontaient au coeur de Raymond comme s’il s’agissait d’hier matin. Les coups de pieds, de bâtons, et de crosses de fusils lui faisaient encore mal comme s’il venait de les recevoir....

62) Tout avait commencé avec le train de vie que je menais avec ma petite famille à “Port-au-Crime” pour répéter Pierrot…

63) …Ma seconde femme, Elizabeth et moi, nous nous aimions comme deux pigeons dans une cage. Chaque fois que je revienne du travail, elle m’attendait à la barrière pour me sauter dans les bras.

64) Pourquoi tardais-tu ainsi chéri ? Tu me fais souffrir par ton absence, mon amour. Ne sais-tu pas que je suis incapable de vivre sans toi ?

65) Elle était l’une des plus belles femmes du quartier de Bourdon où nous habitions. Un dimanche matin, après la messe de l’église où elle assistait, quelqu’un lui avait salué en lui "grattant” la main tout en lui disant :

66) Si je te dis que j’ai abandonné mon poste au Palais National, ce matin, juste pour venir à l’église admirer ta beauté, tu ne me croirais pas.

67) J’ai mon chauffeur qui nous attend dans ma voiture juste au carrefour, si tu veux nous pouvons faire un petit tour à travers la ville, j’ai beaucoup de choses à te dire.

68) Tu as tort de le faire. Tu perds ton temps car mon mari le fait tous les jours, il admire ma beauté et moi sa galanterie comme on se regarde dans un miroir.

69) Je ne dis pas le contraire, mais je comprend qu’une femme a toujours besoin des bras de plus en plus forts dans la vie…

70) …Surtout une belle femme comme toi. Ce n’est pas sans raison que Dieu a crée certaines femmes avec leur beauté naturelle, c’est une richesse du très haut pour ceux qui peuvent la payer chère… Il y a le choix entre le plaisir de vivre à côté d’un homme et la joie de vivre heureuse à côté d’un autre…

71) ...Souviens toi que la malice populaire nous exorte souvent par ses mots : “pye kout pran douvan”. Un imprimeur fait partie de ceux qui forcent la vie et qui risquent le danger de voir fermer son établissement à n’importe quel moment.

72) Je ne vois pas comment, si l’imprimeur est un citoyen pacifique et honnête comme tout autre qui ne nuie personne.

73) C’est ce que tu crois, parce que ton mari ne t’a pas mis au courant de ses activités politiques secrètes… Cette imprimerie travaille contre la révolution duvalieriste depuis le temps des fignolistes et continue à imprimer des “trak” contre la sureté intérieur de l’état…

74) Ecoutez, monsieur… que je ne connais pas encore le nom, si vous croyez pouvoir nous faire peur avec vos menaces en douceur, vous vous trompez grandement. Le père de mon mari recevait des travaux d’imprimerie de tous les clients : des écoles, commerçants, écrivains, professionels, partis politiques et autres…

75) …Il a été injustement accusé de conspirer contre le gouvernement actuel, arrêté puis fusillé au Fort-Dimanche… C’est une histoire vieille bien qu’elle laisse encore des traces de souffrances dans la famille. Il a payé de sa vie pour quelque chose qu’il n’a pas commis, nous nous sommes résignés avec la cicatrice, et c’est tout ! La vie continue…

76) Pourtant c’est pas ce que donnent les résultats des investigations de la police du gouvernement publique. Si ton mari n’est pas encore arrêté pour subir le même sort que son fignoliste père, pour avoir continue ses oeuvres anti-révolutionaires, c’est grâce à moi qui attend tes “collaborations”…

77) …La défense est un droit sacré et la reconnaissance est une lâcheté. Une femme si intelligente comme toi ne peut pas s’empêcher d’avoir des chèques sans travailler aux ministères à cause d’une reconnaissance stupide d’un mari.

78) Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent a dit le Christ. Moi, je vous dis que je connais mon mari et mon mari me connait… Pensez à ça, monsieur et... au revoir !

79) Pendant ce temps, je venais de rentrer après une visite chez des amis à Martissant, pour recevoir la bienvenue chaleureuse de ma fille comme toujours…

80) Papi ! Papi ! Où étais-tu ? … Mamie n’est pas encore rentrée.

81) Elle a sûrement quelques courses à faire à travers la ville. Je suis sûr qu’elle ne tardera pas à venir. Allons ! Allons prendre tes leçons de piano.

82) “Le piano est l’instrument préféré de mes générations, la passion musicale est héréditaire, depuis les plus vieux jusqu’aux plus jeunes. J’ai touché mes premières notes à un piano qui a été donné en cadeau à mon feu arrière grand-père par l’Empereur Faustin Premier.”

83) Par quelle chanson veux-tu commencer aujourd’hui ? “Au clair de la lune” ?… ou “Frère Jacques” ?…

84) Non, je préfère jouer “ A la pêche”…

85) Très bien, gentille petite fille de papa. N’oublie pas que le piano est une obsession pour la famille, tu dois l’apprendre pour l’enseigner à tes enfants de demain qui feront de même à tes petits-enfants, ainsi de suite, suite...

86) Très bien, papi, c’est promis ! J’aime le piano comme je t’aime à toi et à manmie.

87) Comme tous les jours fériés, je donnais des cours de musique à Martine comme j’avais fait avec Raymonde, l’autre fille de mon premier mariage, une fille qui ressemble à sa mère au point qu’après la mort de cette dernière, la famille refusait catégoriquement de me la remettre, malgré les efforts d’Elizabeth qui l’aime tant bien que moi.

88) Après une heure de cours, nous allions terminer quand :

89) Papi, promets-moi d’être toujours près de moi pour m’enseigner de nouvelles chansons, des chansons belles comme manmie et comme toi.

90) C’est promis, ma fille, je serai toujours là, ton père ne t’abandonnera jamais.

90a) Soudain !...

91) Ne me dis pas que le cours est déjà terminé ! Si l’élève arrive en retard pour la première fois, le professeur doit lui pardonner quand même. J’ai été retenu par un individu sans vergogne qui voulait me faire la cour.

92) Double punition ! Pour être admise à participer aux cours, tu dois donner deux gros baisers à notre gentille petite fille pour son intelligence et un loooooooong baiser mouillé au professeur qui t’aime tant…

93) Ah, non ! Les yeux de ma femme me disent qu’elle est très préocupée et qu’elle a de très importantes choses à me dire sinon, c’est elle qui va me punir. Je connais bien cet air de tristesse.

94) Voyons ce que mon autre moitié a à me dire. Tu as eu un contre-temps aujourd’hui, chérie ? C’est pour la première fois que tu ne reviennes pas de l’église en chantant : “Plus près de toi, Seigneur”. Tu as été voir ta tante malade à l’hopital ? Comment va t’elle ?

95) Que de questions à la fois pour une pauvre élève ! Viens chéri, laissons Martine au piano un moment, allons dans la chambre, j’ai à te parler.

96) Ma femme m’avait expliqué les menaces en douceur de cet individu, mais comment pouvais-je penser que l’audace d’un homme allait arriver jusque là ? Mon père s’entretenait avec des politiciens, bien qu’il s’agissait de travaux d’imprimerie, mais moi, jamais…

97) On était au mois de septembre, dans un mois j’avais des fournitures classsiques à remettre à des écoles pour la rentrée des classes d’octobre, je continuais tranquillement mon travail quand un matin…

98) Comment Raymond, on ne reconnait plus les amis “sak pase ?"

99) Pépé était mon condisciple de classes au petit séminaire Saint-Martial. Lui et moi étions les deux meilleurs élèves de la promotion en primaire comme en secondaire.

100) Pepeée ! Mon vieux “kòbòy” comment ça va ? Où t’étais-tu fourré, vieux vagabond des rues ?

101) J’étais en province ! Et toi ? Parle moi des activités de l’imprimerie.

102) Tout va bien ! Comme tu vois, je reprends la relève après avoir resté fermer pendant deux ans, à la suite de la mort de mon père…

103) …Et ça va à merveille pour toi, d’après ce que je vois. Je peux me féliciter d’avoir du flair.

104) Du flair, tu en avais toujours, toi. Tu te souviens que tu n’avais jamais perdu quand je te demandais, sur la cour de l’école, combien d’argent avais-je en poche, et dans quelle poche…

105) C’était facile à deviner, ton père te donnais toujours deux gourdes et toi tu n’aimais que le “fresco" aux cacahouettes, je n’avais qu’à regarder tes mains pour voir si elles avaient du sirop. Si non, la conclusion était tirée que tu n’en avais pas encore acheté.

106) Malin et demi ! Très intelligent, hein ! Et pour la poche ?

107) Boooon ! S’il y avait du sirop à la main droite, la monnaie de deux gourdes devait être dans la poche gauche pour ne pas salir la poche droite, vice-verça…

108) Bandit ! Si mes mains n’étaient pas sales, cela voulait dire que je ne dépensais pas encore les deux gourdes.

109) 100 sur 100 mon cher élève ! Tu as finalement trouvé la solution du problème après 15 ans, félicitations !

110) Tu mérites que je te casse la figure. Mais, oublions ça pour le moment.

111) Merci “Ray !” Mon cher, je sais que tu es vraiment pris pour la rentrée des classes, mais je veux avoir ton aide. Je viens de parcourir la province et je veux publier un roman sur la vie rurale intitulé : “Le pays est malade”…

112) …Relatant comment on nait, on vit et on meurt dans les zones rurales, comment on donne les noms aux enfants, comment on respecte les personnes agées, comment on garde encore les coutumes anciennes…

113) Je vois que tu gardes encore ton âme romanesque et poétique, toi. Tu peux compter sur moi pour imprimer ton livre.

114) Espérant que tu ne vas pas m’apporter des feuilles sales, tachées de “mamba” comme tu me faisais dans le temps. Ha ! Ha ! Ha !...

115) Euuuuh !… Je voudrais te proposer quelque chose tout à fait différente. Je voudrais louer l’imprimerie pour trois mois…

116) …Te donnant ainsi trois mois de vacances juste après la rentrée des classes, pour m’occuper personellement de mon livre. Je paie à l’avance. Ainsi, j’aurai la chance de mettre en évidence les techniques de l’imprimerie que j’ai apprises gratuitement de ton feu père. Paix à son âme.

117) Mmmmh ! L’idée n’est pas mauvaise. Comme ça, je pourai prendre des jours de congé pour être avec ma p’tite famille, et en profiter aussi pour faire un p’tit tour à Miami afin d’acheter des appareils plus modernes pour l’imprimerie.

118) Effectivement, après avoir consulté ma femme au sujet de l’offre de Pierre, je lui avais cédé l’imprimerie pour trois mois et avec l’aide des employés de son choix il faisait fonctionner les machines pendant que je mettais à point d’autres affaires en retard de la famille, mais de temps à autre il me visitait pour des conseils.

119) “Patron” que penses-tu de la typographie ? Donne moi ton opinion…

120) MMMH ! Laisse voir si tu ne me voles pas la profession.

121) Presque tous les samedis on se rencontrait chez moi et on discutait ouvertement la présentation de son livre.

122) Les mots clefs et les noms des protagonistes doivent être écrits en lettres grasses…

123) Tu as raison, je vais demander au typographe de faire la correction.

124) Après la publication de ce livre dans lequelle on lira, simple flatterie, que "ce livre est financé par le gouvernement de l’inégalable Docteur François Duvalier président avie", je suis sûr qu’on m’appelera à l’un des ministères. Malheureusement… disons, heureusement que ce ! … Dis donc, où est Martine ?

125) Elle est avec sa grand’mère ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu parlais d’un poste ministériel et d’un coup…

126) …Oui, d’un coup je me rappelle que ce gouvernement ne t’intéresse pas, je préfère changer de conversations.

127) Tu te trompes, mon ami, je n’ai rien contre le gouvernement comme je ne suis non plus son partisan… Mais, je te prie de ne pas soulever cette conversation pour le bien de ma famille. Si tu n’étais pas mon ami d’enfance, je dirais même que tu es en train de sonder un terrain. ...

128) Quelques jours après, c’était un jeudi après midi, ma femme revenait de l’école congrégationnelle de chez les soeurs où elle travaillait comme institutrice.

129) Je connais ma femme et elle me connait. Ce visage fatigué est borné de certaines préocupations que je veux découvrir après lui avoir donné un p’tit "bo”.

130) Je ne sais pas chéri, j’ai des préssentiments vraiment drôles qui ne me laissent pas en paix. Hier soir, je ne dormais presque pas et j’ai passé toute la journée d’aujourd’hui sans pouvoir me controler.

131) Chéri, est-ce que tu as un contrat écrit et dûment signé par devant un notaire avec Pierre, déterminant pourquoi et pour combien de temps tu lui as loué l’imprimerie ?

132) Non ! PéPé et moi sommes deux vieux copins, deux ex-camarades de classes. Ne t’en fais pas pour ça, chérie…

133) … Je comprend tes préoccupations dans un pays où l’on ne peut se fier à personne, surtout il m’a laissé comprendre qu’il a des ambitions politiques. Mais, rassure toi, mon amour, tout ira comme sur les roulettes.

134) On dit que la reconnaissance est une lâcheté, mais grâce aux faveurs que les parents de Pierre, y compris Pierre lui-même, avaient reçu des miens, il serait incapable de trahir notre amitié.

135) Souhaitons le ! Car chacun essaie de vendre chère la peau de l’autre pour obtenir un poste gouvernemental ou des faveurs dans ce pays de "sanmanman", ce pays de "tout koukou klere pou je yo".

136) Des jours ont passés, pendant ce temps j’avais fait mon voyage à Miami où je m’étais équipé en machines modernes d’imprimerie et, de retour, j’attendais tous les jours ma femme et ma fille de leur respective école, au son de mon piano. C’était la belle vie pour moi. Je ne demandais pas mieux. Je croyais que le bonheur était fait uniquement pour mon foyer

136a) Ne t’en fais pas, mon amour, tout ira bien. Pierre est des nôtres. Pense plutot à notre incomparable amour. Souviens toi toujours combien je t’aime.

136b) Je sais combien tu m’aimes, mon p’tit coeur, et moi aussi je t’aime d’un amour inexplicable. Voilà pourquoi j’ai peur pour toi, pour notre amour. Car, comme dit le proverbe "depi nan ginen nèg ap trayi nèg".

137) Comme si le destin voulait nous dire que c’était notre dernière séance d’amour, nous étions ce soir là comme deux fous. Une sensation unique et sant précédant envaillissait notre âme romanesque, nous obligeant à nous perdre l’un dans l’autre.

137a) Je t’aime, je t’aime et je t’aime, ma p’tite femme chérie

137b) Moi aussi, je t’aime, je t’aime et je t’aime mon bon et doux mari.

137c) Arrivait un moment où nous nous sentions dans une seule chair, une seule âme et un seul esprit. Franchement je n’avais jamais vit l’amour avant à un tel degré.

137d) S’il te faut arriver quelque chose, que cela m’arrive. Que je meurs à ta place, mon p’tit chou.

137e) Il n’arrivera rien de mal ni a toi ni a moi. Souviens-toi que nous avons une fille à éduquer.

137f) Deux filles, tu voulais dire ? Raymonde aussi est ma fille car sa défunte mère était ma meilleur amie. Je dois l’aimer comme j’aime son père. Non ?

 !37g) Merci pour ton amour, merci de nous avoir aimé, moi et nos deux filles. Je t’aime Bèbeth...

137h) Comme si nous avions tous les deux peur de quelque chose non encore indentifiable, je ne me souviens pas combien de fois avions nous échangé des "je t’aime" ce soir là. Il y avait un pressentiment dans l’air que le diable n’était pas loin.

137i) Fais moi l’amour ardent, Ray. Je veux te sentir jusqu’au tréfond de mon coeur, mon corps et mon âme. Je veux habiter en toi. Je veux m’appartenir à toi et à toi seul.

137j) Mais qu’est ce que tu dis comme ça, chérie ? Tu es à moi et à moi seul comme je suis à toi et à toi seule pour toute la vie, mon amour.

137k) Tu as raison mon p’tit coeur, je divague sans savoir pourquoi. Prends-moi chéri. Fais moi tout ce que tu veux. Fais moi sentir que je suis tienne ce soir et a jamais. Fè yon bon ti bagay avè m pou w fè m bliye" ma tristesse et ma mélancolie...

137l) Je savais qu’elle divagait à cause de la peur de cet individu qui la guettait. Les mots n’étaient pas suffisants pour lui rassurer que notre bonheur n’aura pas d’obstacle. Voilà pourquoi je mettait toute mon énergie à lui faire l’amour ardent qu’elle me demandait.

137m) Aaah !... plus fort chéri, plus fort, mon homme ! ssst-aaay !... donne moi le tout, mon amour, le tout chéri !... wouchchch ! ... aaah !... "men map vi... !" je viens chéri, je viens mon amour ! oooh ! c’est bon, Ray ! C’est booon ! je vieeeeeens !...

137n) On dit que les femmes amoureuses ont l’âme des prophètes. Moi, je le crois. Après ce moment inoubliable, elle était encore anxieuse pendant que je cherchais en vain à lui rassurer notre bonheur.

137o) Penses-tu que le diable serait aussi méchant pour nous enlever un tel bonheur, Bebeth ? Tu fais des soucis pour rien, mon amour. Je suis et je serai toujours là pour te donner le "tout" que tu aimes. Ha ! Ha ! Ha !...

137p) Hi ! Hi ! Hi ! ... Si tout est à moi, tu dois me donner le "tout". Non ? D’ailleurs avant l’aube, je vais en avoir besoin davantage. Prépare toi à me donner le garçon que je veux avoir, paresseux !

137q) Ha ! Ha ! Ha ! ... Ce n’est pas moi qui ne peux avoir un garçon, c’est Dieu lui même qui veut me donner que des filles.

137r) "M pa konn afè w ak Bondye." Dis lui dans tes prières que ta p’tite femme chérie veut avoir un garçon le plus vite que possible. Hi ! Hi ! Hi ! ...

137s) Au même instant, le bruit d’une voiture suivi d’un coup de feu, juste en face de la barrière de ma maison nous interrompait la joie. Malgré les supplications de ma femme de m’enfermer dans ma chambre, j’avais décidé d’aller voir de quoi il sagissait.

137t) Qui peut il être ? Ne bouge pas Bèbeth, je vais voir de quoi il en est.

137u) Non, chéri ! Cache-toi de préférence ! Mon intuition de femme me dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Je vais voir s’il ne s’agit pas d’un piège. J’ai l’impression qu’on trame quelque chose contre nous.

137v) Nooon, Bebeth, reviens ! Laisse moi aller voir, moi même ! Je suis l’homme de la maison.

137w) Si tu insistes, va. Mais prends beaucoup de précautions, chéri. Pendant ce temps je vais m’assurer que notre fille est bien dans sa chambre.

137x) Ainsi, je m’étais habillé rapidement avant de sortir pour entendre l’un des deux hommes qui étaient déjà là, sur la cour, dire :

138) Ah ! il nous rend la tâche facile. Il est plus brave que son père, celui là. Allons, “Danjire !” Revisons la maison, il faut emporter tous les “trak” au quartier général

139) A vos ordres, mon commandant !.

138a) "Traaak" !... De quel track parlez-vous messieurs ?

140) Comme s’ils avaient des informations exactes, ils se dirigeaient tout droit à un petit dépot dans la cour où, à mon grand étonnement, ils ont trouvé une valise contenant à peu près un millier de “trak” d’abas Duvalier et un révolver colt 38. Ça va sans dire qu’ils n’allaient pas me laisser passer le reste de la nuit chez moi. Ils ont même pris le soin de m’obliger à m’habiller en costume et cravatte pour mieux suporter leur fausse accusation.

141) Manmie, pourquoi ont-ils emmené papi ? Que vont ils faire de lui ?

142) j’entend encore la voix de ma fille qui disparaissait à mesure que la voiture s’éloignait avec moi de la maison pour ne plus y retourner.

143) Papaaaa ! Papi chéri ne t’en va pas, je t’aime ! Tu m’as promis de ne pas me laisser…

144) Ne pleure pas, ma chérie. C’est un simple mal entendu, papi reviendra bientôt pour tes cours de piano.

145) J’ai passé presque tout le reste de la nuit aux casernes Dessalines à écouter les pleurs et les cris d’autres prisonniers politiques, mais moi, je ne sais pourquoi on ne m’avait pas frappé encore. Vers 6 heures du matin, on m’enmenait voir un certain Désir.

146) Oh-oh ! Un “kamoken” en costume ! Ça, je ne l’ai jamais vu ! Nos agents n’ont pas menti, vous voulez être le président du pays, "gade bèl kostim ou. Koulyè a fèy diskou w nan pòch ou tou la a". Vous êtes vraiment fils de votre père "fèt ak men".

147) Monsieur Raymond Jolibois, on nous a rapporté que vous imprimez des “trak” pour déstabiliser le gouvernement au pouvoir, nos investigations nous ont conduites au local de votre imprimerie et chez vous où nous avons découvert la vérité.

148) Non ! Ce n’est pas possible, permettez moi de vous dire respectueusement monsieur que vous mentez tous.

149) Ah, Bon ! Vous osez dire en plus que tous les Duvaliéristes sont des menteurs. Soldats ! Enmenez ce va-nu-pied d’ici avant que je me fâche !!! -criait t’il- et faites ce qui bon vous semble de lui !! Ainsi, on m’avait retourné à ma cellule, non sans m’avoir malmené comme avait ordonné le chef.

149a) Tu as de la chance qu’on ne t’avait pas frappé jusqu’ici.

149b) Comment ? Ne pas me frapper ?... Je sens encore les coups de batons, de crosses de fusils, des coups de pieds, de chaises et tout ce qui leur tombait sous les mains. Moi, personellement, je le considère un miracle que je suis encore en vie. A l’instar des soldats qui ironisaient le Christ crucifié, on m’humiliait au point que je leur ai demandé de me fusiller sur place. Quand je ne pouvais plus me tenir sur mes pieds à force de recevoir des coups et des giffles, je me suis tiré au sol, et là, tout en riant, on urinait et on crachait sur mon visage avant de m’obliger à manger des excréments humains communéments appelés "poupou" chez nous. Pour m’humilier davantage, on m’obligeait à enlever mon pantalon pour me faire marcher nu sur la cour au grand plaisir des fillettes laleaux qui riaient pendant que l’une d’elle disait : "otan kamoken an gen gro bwa ... ". Pour continuer, je me suis dit :

150a) Mon Dieu, quel complot a t’on monté contre moi ! Pierre a bien sûr quelque chose à voir dans tout ça.

151) Après un mois sans recevoir les nouvelles de ma famille, on m’avait appelé et conduit au Palais National où un ministre du gouvernement m’avait annoncé que mon “trou” était déjà creusé, mais si je dénonçais mes complices, d’ordres du président de la république, j’allais avoir la vie sauve.

152) Monsieur le ministre, je vous répête comme à ma première entrevue que je n’ai pas de complices, je n’ai rien à voir dans tout ça. Mon imprimerie a été louée à un ami.

153) Parce que vous croyez, comme vous avez dit à mon frère d’armes et collègues, que tous les duvaliéristes sont des sots et des menteurs, vous pensez que la révolution au pouvoir va accepter vos mensonges comme défense ?

154) Vous vous trompez grandement, monsieur le "kamoken". Bibliquement parlant, les autorités d’un pays sont établies par Dieu lui-même, et Dieu n’est pas aussi sot pour placer des autorités qui ne savent pas ce qu’ils font. Le menteur, c’est vous, monsieur Jolibois !

155) Jusqu’ici, je n’ai jamais dit un mensonge, Excellence, et je ne le dirai pas. Les Louverture n’ont jamais menti et ma mère est une Louverture, je ne vais pas faire la différence.

156) A cela, il avait fait un signe de la main et deux hommes vêtus de bleu, laids comme les septs péchés capitaux et aux yeux rouges comme la méchanceté, qui venaient me prendre chacun par un bras et m’enfermaient dans un vehicule qui ne laissait pas voir au dehors. L’un deux conduisait et l’autre se grimpait en arrière comme pour m’empêcher de sauter à terre.

157) Sous le soleil de polmb qui brulait l’atmosphère de Port-au-Prince, ll faisait tellement chaud à l’intérieur que ma sueur se melait de mes larmes. Je ne pensais plus à moi car on m’annonçait déjà ma mort, sinon à ma femme et à mes deux filles. Que deviendront-elles ? Me re-demandais-je en plusieurs fois.

158) Après un long trajectoire comme pour me confondre les rues de la duvalierville, on m’avait conduit enfin à Fort-Dimanche où une “fillette-laleau” m’avait reçu avec deux giffles au visage avant que mes deux bourreaux en uniforme macoute me montrent ma nouvelle cellule…

159) …Où j’ai passé six mois sans voir la lumière du jour ni non plus savoir des miens. C’était dans une marmite que je devais faire "pipi" et "poupou" et ça durait au moins trois jours couverte d’un morceau de caton dans ma cellule avant qu’on me laisse jeter le contenu au dehors pour réduire l’odeur puante. Franchement, je n’avais jamais pensé que l’homme avait tant de larmes dans les yeux…

160) …Chaque fois que j’ai entendu la voix de ma petite fille qui criait : “Papi tu m’as promis de ne pas me laisser” suivie de celle de ma femme “c’est un malentendu, papi reviendra”, j’ai versé des larmes et des larmes amères, mais quand je me souviens que j’ai été arrêté innocenmement par des salauds sans foi ni loi, je me suis consolé...

161) … Pendant mon sejour à Fort-Dimanche, j’ai entendu mourir des braves, des mulatres surtout, non sans avoir poussé des injures contre le tyran “Papa Doc”, aussi bien que des repentis qui demandaient pardon pour se voir emmener quand même aux poteaux d’exécutions. Chaque fin de semaine, on procédait à des exécutions d’hommes et même de femmes honnêtes, des commerçants, professionnels, industriels, étudiants, etc. …

162) …Des hommes qui contribuaient au développement de notre société, des intellectuels pour l’éducation de qui on avait dépensé une fortune, des citoyens dont leur seul péché était celui d’avoir des visions politiques différentes, ou parents et amis de ceux qui étaient contre le régime. Et, en passant près de ma cellule, comme pour me faire peur, leurs bourreaux m’envoyaient toujours des “pwent” et des “titorya”, des messages indirects soit en se demandant entr’eux à quand mon tour...

162a) "Se kilè nap fizye kamoken ki rele Raymond Jolibois a, ou pa konnen ?"

162b) "M pa konnen non, ou kwè se pa senmenn prochen !"

163c) ...ou, ce soir là :

163) “A la fanm bouzen papa se madanm Raymond Jolibois sa a”, elle a dénoncé son mari pour pouvoir “prendre” un autre. "koulyè a li dwe swe anba bèl chaplet, bèl gouyad la a ap voye bèl alsyis moute, epi mari l menm nan prizon. Tonnè kraze m, bèl fanm se bèl malè vre !…"

164) Mais je savais quelle femme avais-je en main, je savais qu’ils voulaient me donner un motif en plus pour me suicider en prison, je n’avais jamais cessé d’aimer Elizabeth et elle non plus. Oui ! La femme qui n’avait pas de secret pour moi, celle qui me disait à tout bout de champs, "toi et moi, nous nous connaissons comme le Christ et ses brebis". J’ai passé des nuits à rêver d’elle jusqu’à ce qu’un jour, 16 mois après mon arrestation, on m’emmenait par devant un juge où elle et moi allions nous croiser les yeux. Ce jour là, au palais de justice, tout en la regardant l’armes aux, j’avais du mal a entendre le juge dans ses fausses acusations...

165) ... Vous avez commis le crime contre la sûreté intérieure de l’état, en imprimant et en distribuant des feuilles volantes communément appellé “trak” pour terroriser le peuple et troubler ainsi la paix publique établie grâce à la révolution au pouvoir. Vous le reconnaissez, monsieur Jolibois ?

166) Tout ce que je sais, magistrat, c’est que je suis innocent…

167) …Je suis innocent, victime d’un coup monté dont mon ami d’enfance est surement l’acteur principal, le judas qui a vendu le Christ, le Conzé qui a trahi Charlemagne Péralte.

168) Greffier, prenez notes ! L’accusé ! virgule !… l’accusé ! … s’est déclaré !… s’est déclaré !…

169) Le magistrat duvaliériste utilisait les noms “Christ” et “Charlemagne Péralte” pour prouver à l’assistance ma culpabilité.

169a) …Lui-même coupable, en se comparant !… en ! … se ! … comparant aux deux personnages !… aux… deux personnages !… ré-vo-lu-tio-nnaires !…. Hmmmm ! “Msye nou pa konn sa mot sa a gen ladan menm”…

170) …Révolutionnaires qui sont ! : … deux points ! ... Le Christ et Charlemagne Péralte, ajouté aux crimes trahison... tra-hi-son... (soulignez le mot trahison avait-il dit tout bas au greffier) trahison... virgule... et de manque d’égars ! … de manque d’égars ! … aux autorités votés par le peuple !...

170a) .. Ces crimes, conformément à la constitution de 1964, sont punis par la peine de mort au bien-être de la nation. Mais, son excellence le docteur François Duvalier, l’inégalable leader de la renovation haitienne et président à vie de la première république noire du monde entier, dans sa compassion, a réduit la peine capitale à 15 ans de travaux forcés ! ...

171) …tout en déclarant tous les biens du prisonnier, propriétés de l’état.

171a) Ma femme et mes enfants aussi, magistrat ?

172) TOUS LES BIENS DU PRISONNIER SANS EXCEPTION AU...CUNE ! Soldats ! Emmenez le prisonnier au Pénitencier National ! La séance est levée !

173) Je n’avais pas le temps de sentir la brutalité des soldats et macoutes qui me bousculaient, comme j’avais senti les mots du juge. Juste en sortant de l’enceinte du palais de justice, j’ai revu, après16 mois, le visage atristé de ma douce femme qui semblait me dire :

173a) Du courage mon homme ! Malgré tout, je t’aime encore, Ray chéri !

173a-1) Et moi de lui répondre avec un jeu de tête :

173b) Moi aussi, je t’aime Bèbèth. Prends soins de toi et de nos filles au nom de notre amour.

174) Nous pouvions seulement nous regarder des yeux. Elle ne pouvait pas me parler, mais ses regards, les mêmes regards d’antant m’ont dit qu’elle m’aimait, qu’elle m’aime encore et pour toujours. En hommage à la vérité, je dois avouer que tous les macoutes n’étaient pas mauvais. Ce peut être un coup monté, mais l’un de ceux qui m’accompagnaient ce jour-là disait après ma condamnation :

174a) "Zansèt yo pat fè lendepandans ban nou pou nou te fè pitit tè a pase tout mizè sa yo non. Se abi sa rele wi mezanmi. Nèg la pa konmèt okenn krim kont leta vre e nou konn sa byen. Si se madanm li nou vle pran, pran l san nou pa bezwen kondane l." Tôt ou tard le grand Dieu de justice vous punira, vous et vos générations.

175) C’était ce jour-là que j’avais remarqué un homme du quartier, vêtu d’uniforme macoute donnant des consignes aux soldats subalternes qui m’accompagnaient, juste avant de monter le même vehicule d’il y a 16 mois en arrière. C’est alors que je pensais :

176) Mon Dieu ! Ne serait ce pas cet homme qui aurait manigancé tout ça de concert avec Pierre, l’un pour voler ma femme, l’autre pour bénéficier de mon imprimerie ou un poste du gouvernement ?

177) Si ce que je pense est vrai, même après mes 15 ans de prison je me vengerai… ainsi que la mort de mon père.

178) Sur les murs de ma nouvelle cellule au Penitencier national, chaque groupe de douze barres était traversées par une ligne horizontale pour compter les années de douze mois d’interminables jours sans lumière et nuits ténébreuses de mon prédécesseurs qui était finalement mort de la tuberculose…

178a) (flip picture) …Tout en me demandant si ces barres écrites au charbon de bois étaient la aussi pour compter mes années de peines...

179 ...Je n’avais pas cessé, jours et nuits de penser à ma femme et à mes deux filles : Raymonde et Martine.

180) Pendant ce temps, elle, ma pauvre femme faisait de l’église du Sacré-Coeur de Turgeau sa deuxième maison. Tous les jours elle s’y rendait pour prier en pleurant.

180a) Seigneur, toi qui est le créateur de l’univers, le Roi de tous les rois, le Dieu tout-puissant de toute la terre incluant la terre d’Haiti, fais donc un miracle pour ta fille, pour son mari et pour le pauvre peuple haitien en général...

181) ...Tu vois comment ma foi m’abandonne, pourtant je refuse de croire que nous, Haitiens sommes fils de satan, que nous n’avons pas le droit à la vie heureuse. Je veux être toujours à tes pieds, seigneur, comme on m’a enseigné dès mon plus jeune âge, mets ta force en mon âme enlassée pour que je puisse continuer à croire en toi…

182) … Fais un miracle comme tu as fait pour Saint-Paul, afin de sortir mon mari de la prison. Révèle donc aux autorités son innocence…

183) En s’abandonnant à sa désolation, des larmes amères et inconsolables baignaient son beau visage jusqu’à humecter ses vêtements qui cachait son coeur amoureux et attristé.

184) Un de ces jours, à sa sortie du temple de l’église, une voix connue lui faisait tourner la tête pour voir le même personnage qu’elle avait rencontré quelques semaines avant mon arrestation et qui n’avait pas cessé de la poursuivre.

185) Elizabeth !… Elizabeth !… Attends moi, s’il te plait, j’ai à te parler !

186) Quand on est dans une situation où l’on ne peut contre-attaquer, on est comme sans volonté, pire qu’un enfant. Ma femme ne pouvait qu’obéir, mais toujours avec un peu d’ironie naturelle qu’elle a toujours en elle.

187) Je vous félicite, cher voisin.

187a) Me féliciter ! Et pourquoi ? Je ne fais que mon devoir de représentant de la police politique, si j’étais au Palais de Justice ce n’était pas pour me réjouir du sort de ton mari bien qu’il a tort de le chercher.

188) Ecoutez ! Monsieur "plen pouvwa," Mon mari n’a aucun tort et il n’a rien cherché. Disons plutôt, comme on dit dans les parages, qu’ on essaie de faire “marcher” sa femme et c’est lui qui paie la conséquence. Tout ça c’est du chantage et on le sait bien dans le quartier.

189) Je ne sais pas de quoi tu parles, mais moi je suis toujours là pour t’aider. Seulement je veux que tu saches que mes sentiments pour toi n’ont pas changés, bien que je ne veux pas commettre l’erreur de te parler d’amour en ce moment de tristesse…

190) …D’ailleurs, je t’ai donné la preuve, bien que tu l’ignores encore. L’ordre présidentiel était donné contre la famille toute entière, c’est à dire contre toi aussi, c’est grâce à mon amour pour toi si tu n’es pas derrière les barreaux, toi également…

191) …L’amour comme la foi peut déplacer des montagnes. J’ai risqué ma position et même ma vie en disant au président que toi et moi avons des liens secrets, que c’est toi au contraire qui a dénoncé les complots de ton mari. Tout ça pour t’épargner un malheur.

192) Vous avez mal fait, très mal fait… Et il n’est jamais trop tard pour bien faire. La porte de ma maison est toujours ouverte, emmènez votre patrouille, mes filles et moi vous attendons, nous serions heureuses de suivre mon mari en prison.

193) Et sans ajouter un mot en plus, elle lui tournait le dos pour retourner chez elle, recevoir le coup habituel au coeur, chaque fois que l’enfant lui demandait pour moi.

194) …Et papi, manmie, il ne vient plus ? Tu m’avais dit ce matin que tu allais le voir. Il ne m’aime plus, manmie ?

195) Au contraire, il t’aime beaucoup plus qu’avant. A propos, il m’a chargé de te dire de ne pas abandonner le piano, si vraiment tu l’aimes.

196) Et qu’est ce qu’on fait de lui, maman ? Je ne l’ai jamais revu depuis qu’on l’avait emmené.

197) Rien, mon amour, rien ! Il est très occupé avec les travaux de l’imprimerie. C’est comme ça que travaillent les hommes. Tu te souviens qu’il était parti pour Miami et nous avait laissé pour une semaine ?

198) Soudain, comme l’enfant avait des pressentiments, elle s’éclatait en sanglots, et, comme la tristesse est contagieuse, ma femme ne pouvait que l’imiter.

199) Papi est mort, manmie ! Papi est mort et tu ne veux pas me le dire ! Tu pleures, toi aussi, car tu sais qu’il est mort !

200) “Bèbèth,” reconnaissant tout de suite son manque de courage en face de notre fille, voulait remédier la situation immédiatement.

201) Ce n’est pas vrai, mon amour. Papi vit encore, il est très occupé, je pleure parce qu’il n’est pas là pour me donner des leçons de piano.

202) Madame, Il y a encore du feu dans la cuisine, voulez-vous un thé contre le “movesan ?”. Je peux vous le préparer immédiatement.

203) Oui, Yvonne, fais moi un thé de “Vèvèn” s’il vous plait. Comment, l’enfant a mangé quelque chose à mon absence ?

204) Non, madame ! Elle ne veut rien manger. Elle voulait attendre monsieur Raymond avant de le faire !…

205) Quand à Yvonne, une servante qu’on avait amené de la province à ma première femme, lorsqu’elle n’ avait que 9 ans d’âge, elle était si fidèle qu’on la croyait membre de la famille à part entière.

205a) Figure toi qu’on lui conseillait par-ci par-là de nous abandonner, de retourner en province pour qu’elle ne soit pas arrêtée, elle aussi.

205b) Sa réponse avait été toujours la même : "Mesye Raymond inosan, si yo vle arete m avè l, yo mèt arete m, si yo vle touye m avè l, yo mèt touye m. Se li ki mete m lekol di swa pou yo montre m li ak ekri. Se yon bon gason m prèt pou mouri ave l ..."

205c) Pour revenir à Elizabeth, trouvant du courage là où il n’y en avait pas, ma bonne femme, bonne mère aussi, trouvait toujours un moyen de faire passer la tristesse de l’enfant.

206) Papi m’a chargé de te dire qu’il faut jouer “Frère Jacques” tous les samedis et “Au clair de la lune” tous les dimanches.

207) Des jours ont passés, et comme “dèyè mòn gen mòn ” et que "menm nan lanfè gen mounpa", la directrice de l’école congregationniste où ma femme était institutrice, lui avait procuré, après des démarches intenses, un permis pour me visiter en prison.

208) Quand finalement on nous avait permis de nous trouver face à face, après plus de deux ans de séparation, nous avions passé plus de 5 minutes à nous regarder dans les yeux sans pouvoir rien dire, essayant ainsi de nous reconnaitre l’un dans l’autre.

208a) Avec des larmes sur son visage, elle me regardait avec pitié dans mon état déplorable, mes vêtements en lambeaux, ma tête aux cheveux de puces, etc.

209) Et comme pour essayer de briser la montagne d’humiliations, de tristesse et de mélancolie. Elle murmurait ses mots qui faisaient toujours tressaillir le sang dans mes veines.

210) Chéri, je t’aime ! Sois sûr que je ne cesserai jamais de t’aimer, Ray.

211) Elizabeth, mon amour ! Adorable compagne de ma maudite vie de chimère et de misère. Que Dieu te bénisse. Parle-moi de mes filles et de ma pauvre mère malade…

211a) Voulant me cacher la mort depuis un peu plus d’un an de ma mère qui ne voulait plus vivre après celle de son mari et l’arrestation de son fils-ainé, ma femme ne voulait pas parler d’elle. Ce qui confirmait un rêve que j’avais en prison, au sujet de celle qui m’a mis au monde.

212) …Je sais tout ce que tu as enduré et tes souffrances sont arrivées jusqu’à moi. Je sais aussi que c’est la faute à notre fort amour réciproque si nous vivons cette maudite situation. Sois forte et courageuse comme tu as toujours été et écoute attentivement ce que je vais te dire, et surtout, comprends-moi bien…

213) …On ne peut rejimber contre les aiguillons. "Pòt bwa paka goumen ak pòt fè" disent les Artibonitiens. Je suis un homme mort et je suis conscient de ça. Je ne compte plus sur la liste des vivants et je le sais déjà.

213a) …Tant que dure notre amour passionné dans notre union conjugale, durent aussi nos persécutions et nos péripéties. L’amour n’est pas égoiste. Aimer, c’est vouloir le bien et le bonheur de l’autre, m’avait appris mon feu père…

213b) …Nous devons mettre fin à tes souffrances d’une façon ou d’une autre et sauver ce qui peut encore être sauvé… Nous !… Nous devons nous séparer légalement…

213c) Tu !... tu veux dire divorcer ?

213b) Oui, chérie ! Nous devons nous divorcer.

214) Nooon ! Tu délires, Ray ! Tu deviens fou, mon amour !

215) Mon Dieu ! Qu’est ce qu’on a fait à mon mari ? … On t’a donné des coups sur la tête pour te faire perdre la raison, mon chéri ?.

216) Non, Bèbèth, mon amour ! Je suis très lucide et je sais ce que je dis. Tu dois m’oublier pour refaire ta vie. Je suis un homme perdu, tu ne peux plus attendre comme soeur Anne, pendant que ta beauté et ta jeunesse s’en aillent en fumée.

217) Mais, Ray… Tu sais que je suis incapable de t’oublier… c’est toi qui m’a enseigné comment embrasser un homme, tu es le prem…

218) …Oui, chérie, je sais, je suis le premier homme de ta vie, et l’unique jusqu’à présent. Mais comme je t’ai appris à m’aimer, je dois t’apprendre à m’oublier dans cette situation sans lendemain. Tout ça pour ton bien et celui de mes deux filles…

219) …Tu dois comprendre que plus tu résistes à la tentation de cet homme, plus il cherche à compliquer les choses. Et, tant qu’il n’y ait pas une vraie révolution dans ce pays, les choses ne dépasseront pas cet étape…

219a) …Je t’aime et je t’aimerai pendant tout le long de ma vie, mais nous devons céder à ses exigences pour sauver nos filles.

219b) mais !...

220) Pas de "mais", chérie. Ecoute ! Raymonde doit laisser le pays par n’importe quel moyen pour continuer ses études à New York. Elle va avoir 15 ans, bientôt les “sanmanman” commenceront à lui faire la cour pour la jeter à la perdition.

221) C’est vrai, tu as raison. Et surtout elle est très mignone, par dessus tout très belle. Elle est l’image même de son père que j’aime.

222) Je doute fort qu’on accepte de lui livrer un passeport pour qu’elle puisse quitter le pays, sachant qu’elle est ma fille. Comme les Jolibois, il y a sous ce regime pas mal de noms de familles qui n’ont pas droit aux passe-ports pour quitter le pays.

222a) Nous devons remuer ciel et terre, s’il le faut, pour réaliser son départ et faire la même chose plus tard pour Martine, la cadette, sinon nous les perdrons toutes les deux.

223) Je comprends, je vais faire l’impossible pour accomplir ton voeu, chéri. Je connais quelqu’un qui peut lui faire un autre acte de naissance sous un autre nom.

224) Merci, mon amour, je connais le goût de l’absinthe, et je ne voudrais pas que mes filles l’en connaissent. Même s’il fallait tout perdre, sauve-les en mémoire de moi. Elles sont le futur du pays de nos ancètres, l’espoir de cette terre qui a conté des milliers d’âmes disparues.

Note de la Direction : Pas mal de citoyens du pays on perdu leur identité à partir du règne des Duvalier, pour éviter d’être arrêté pour cause politique, comme un proche-parent déjà en prison ou en exil pour la même cause. Un Vrai gouvernement révolutionnaire doit publier une vraie amnistie permettant à ces gens de reprendre leur identité, ainsi que leurs biens qui ont été aquis illégalement par des Duvalieristes et même vendus après à d’autres propriétaires. Revenons au couple Jolibois ...

225) Ne pense pas que je cesse de t’aimer et que je suis en train de te pousser à la prostitution si je te parle en ce sens. Au contraire, sois intelligente. Ta beauté et ton éducation, sont l’unique moyen qui nous reste, il faut les utiliser pour sauver nos enfants.

226) En tout cas, je t’adviens que ce ne sera pas facile pour moi, il me sera très difficile de coqueter un homme qui n’est pas toi, respirer une odeur masculine qui n’est pas la tienne et feindre d’aimer quelqu’un d’autre. Notre pure amour n’a pas été bâti pour ça.

227) En prononçant ces paroles, l’amoureuse femme ne pouvait s’empêcher de pleurer encore et encore, pendant que je cherchais tous les mots pour la consoler.

228) Par… pardonne moi, chérie. Tu sais qu’entre toi et moi existait toujours une franche et sincère camaraderie. Soyons assez réalistes pour comprendre là où le destin nous a conduit… Si vraiment tu m’aimes comme tu n’as jamais râté l’occasion de me le confesser, tu dois lutter pour nos enfant tout en m’oubliant.

229) C’est grâce au pouvoir si ces “grosoulye” peuvent cotoyer des femmes comme toi, c’est grâce à ce qu’ils appellent “révolution,” s’ils arrivent à se présenter devant des déesses de ton acabie pour échanger des faveurs contre l’amour. Eh bien ! Puisse qu’il n’y a pas d’autres moyens de se débarasser d’eux pour le moment, “Ba yo sa yo bezwen an”. D’ailleurs, Il ne nous reste rien de prestige ni de dignité, donne-leur le peu qui nous reste pour sauver les enfants. “ Si se bouboun ou yo bezwen, bayo l. Si se alsiyis ou yo vle tande, fè yo tande l. Si se gouyad yo bezwen, gouye pou yo. Si yo bezwen w danse toutouni, fè je w chèch danse pou yo… men sove timoun yo pou mwen souple.”

230) “Men cheri w voye m al fè bouzen wi la a…” Et, pour le faire, je dois tout d’abord abandonner mon poste d’institutrice de chez les soeurs avant qu’on me mette à la porte. En plus, comment vais-je faire après pour te regarder dans les yeux, Ray ? Comment vais-je pouvoir t’offrir un corps impure, commercialisé, salit par un autre ?

231) Quoi d’autres pouvons nous faire dans une situation pareille ? Si dans le futur, l’occasion se présenterait de nous réunir sous un même toit, je t’assure que je saurais apprécier ton sacrifice au lieu de te répudier. Souffre que je te dise que dans ce cas specifique “kout manchèt nan dlo pa gen mak”…

232) …Nous vivons une société qui apporte tout au marché en demandant aux autres de ne pas le faire… tu es jeune et encore très belle, tu as toute une vie devant toi, je ne peux pas te demander d’attendre un prisonnier politique qui peut être fusillé à n’importe quel moment.

233) Parfois on est obligé d’aller chercher ce qu’on refuse de nous apporter. Et quand il s’agit de sauver les siens ou le pays, on est obligé, si l’occasion se présente, de le faire même en hypothéquant sa propre personne.

233a) Ce serait honteux et même crapuleux de te le demander pour moi, mais je te le répète, la vie de nos enfants n’a pas de prix…

234) Tu sais que pour toi comme pour elles je suis capable de tout faire, me sacrifier même si c’est possible. Mais, mettre en péril notre amour…

235) Elizabeth, regarde moi bien dans les yeux ! Souviens-toi que tu ne t’appartiens plus et que l’homme à qui tu t’appartiens n’existe plus. Celui qui t’aime et que tu aimes cesse d’exister depuis le jour où il a été arrêté et conduit en prison sous une fausse accusation. Mon nom n’est plus inscrit au livre de vie.

235a) Mais, comme dit la chanson française, si c’est fichu entre nous, la vie continue malgré tout. Bien ou mal, la vie doit continuer pour toi et pour mes filles.

236) Les enfants d’Haiti ne nous ont pas demandé de les amener au monde. Ils ne sont pas responsables de nos échecs et de nos malheurs.

237) Pourtant les nôtres ne cessent pas de demander pour toi, elles t’aiment comme on aime sa propre personne. Je me demande comment vais-je faire pour leur apprendre à s’habituer avec l’idée que tu es en prison.

238) Tu dois commencer à les préparer, car, qui sait, je ne sortirai pas vivant de ce trou comme des dizaines et même des centaines de compatriotes qu’on emmène tous les weekend aux poteaux d’exécutions.

239) Dieu de délivrance ! Aie pitié de nous, Seigneur. Tu me fais peur avec ces paroles, Ray.

240) Tu me connais bien, chérie, tu sais que j’aime affronter la réalité même quand elle est dure et amère…

240a) Maintenant, la visite est terminée, va accomplir la mission que te confie un candidat à la mort. Console toi et ne pleure plus. Si nous n’aurons plus la chance de nous revoir, promets moi de lutter jusqu’au dernier soupir pour nos enfants et pour toi, d’utiliser l’arme magique de toutes les femmes pour vaincre l’ennemi.

241) C’est… C’est promis, mon homme ! Compte sur moi ! Que Dieu te protège !

242) Seule, sur le chemin du désespoir et avec milles pensées en tête, Elizabeth sortait tous les jours dans les rues pour faire les démarches du voyage de ma fille ainée, sans oublier celles pour essayer de me faire sortir de la prison.

242a) Jusqu’à présent, je ne peux expliquer comment cette brave femme avait procédée pour réussir à le faire, ni combien d’hommes devait elle accepter aux lits pour arriver à des solutions. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a envoyé ma fille ainée trouver ma soeur à New York avec beaucoup de difficultés.

242b) Et continuait, au moins tous les trois mois, à me rendre des visites au cours desquelles j’évitais toujours de lui demander comment elle l’avait fait pour ne pas la mettre dans l’embarras.

242c) Ce qui est certain, c’est qu’elle avait du mal à me regarder dans les yeux pour longtemps comme avant. Mais, peu importe, "kout manchèt nan dlo pa gen mak" -a dit l’autre-. Dans un cas pareil, on ne peut empêcher à l’autre de déguster ce qu’on est incapable de manger.

242d) De mon côté, après chaque visite, je me contentais avec mon "Dieu seul me voit" tout en revivant les images de mes relations sexuelles avec elle. C’était grand coutume chez les prisonniers politiques dans les prisons de Duvalier.

242e) A propos, il y avait une fillette laleau nommée Clémence a la prison qui se vendait pour 100 gourdes au prisonniers politiques. Elle allait toucher son argent tout d’abord chez le prisonnier avant de revenir au soir pour faire du sex "tou kanpe" et avec autorité à l’homme pour qui sa femme ou un des membres de sa famille avait payé.

242f) D’après ce qu’on dit, les 300, 400 et même 500 gourdes qu’elle gagait par nuit étaient partagés avec le commandant qui était son associé dans ce commerce de chair aux détenus.

242g) L’une des histoires qu’on se rappelle, elle était en pleine séance de sexe avec un anti-duvalieriste en prison, quand on a cité le nom du politicien parmi ceux qu’on devait fusiller cette nuit là. Et c’était en riant que les macoutes enmenaient ce dernier aux poteaux d’exécutions.

242h) Ha ! Ha ! Ha ! ... "ou paka plenyen non papa ! Ni w paka di Papa Doc pa bon. Gade l kite w fè dènye koupe w anvan w mouri." Ha ! Ha ! Ha !... -disaient-ils.

242i) Ainsi allait la vie jusqu’à ce qu’un jour, encore avec les démarches de ma brave Elizabeth, quelqu’un a pris le risque de falsifier la signature du président Duvalier, ordonnant ainsi ma liberté.

242j) Sans perdre de temps, j’ai passé la frontière pour regagner la République Dominicaine où j’ai vécu 3 ans avant de me rendre ici à Caracas. Pendant ce temps, ça a changé un peu mais c’était presque la même chose, “Bébé Doc” succéda son "Papa Doc" au pouvoir en Haiti.

242a) Aujourd’hui, les esprit de nos pères ont visite le peuple haitien. La révolution bat son plein. Le pays a besoin de nous tous pour une reconstruction en bonne et due forme. Vive Haiti ! Vive le peuple haitien !...

A SUIVRE




BÔ KAY NOU


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