Mise à jour le Février 2022
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Le 23/11/2004
QUELLE MALEDICTION PESE SUR LA REPUBLIQUE D’HAÏTI ?

Famine, catastrophes naturelles, violences politiques : les images nous sont jetées de façon ininterrompue par les médias. Et chacun d’asséner ses déclarations péremptoires quant aux raisons qui justifient que le peuple haïtien subisse tous ces fléaux. Qu’en est-il en réalité ? La première République noire verra t-elle le bout du tunnel ?

A propos de la déforestation On l’a beaucoup répété, les glissements de terrain et les inondations sont largement liés au fait que les forêts ont pratiquement disparu. De fait, la couverture forestière est passée de 2O% au début des années 6O à moins de 2% aujourd’hui. Beaucoup se plaisent, là encore, à culpabiliser le peuple haïtien.
La triste réalité est que la population, qui vit dans la pauvreté que l’on sait, ne peut avoir accès qu’au charbon de bois, comme source d’énergie, (72% des besoins sont couverts par ce biais).
Mais, assez curieusement, ceux qui donnent des leçons condescendantes d’écologie à des démunis qui se battent pour survivre, n’évoquent jamais la responsabilité de l’impérialisme dans la déforestation.
Joseph RONEY, haïtien résidant en Belgique, indiquait, par exemple, dans une interview accordée à l’hebdomadaire « Solidaire » que :“La plus grande forêt en Haïti a été dévastée au début des années 6O pour le compte d’une société privée qui était la propriété des dignitaires du régime parmi lesquels l’épouse du fameux dictateur Duvalier. Il s’agit de la forêt des pins qui se situait au sud de Port-au-Prince. On a coupé tous les arbres de cette forêt au profit des sociétés américaines qui fabriquaient de l’huile de résine destinée à l’aéronautique.”Ceci dit, il faut insister sur le fait que la déforestation n’est ni une fatalité, ni irrémédiable. On sait que dans de nombreux pays, des gouvernements ont pu impulser des politiques efficaces de reboisement . Pour ne citer qu’un exemple dans la région, on pense à la production massive d’arbres à croissance rapide destinés à l’exploitation industrielle à Cuba et à la campagne qui a lieu cette année à la Havane pour planter deux millions cinq cent mille arbres. Cette question de la déforestation est également utilisée à des fins de désinformation, afin d’escamoter les autres problèmes liés à l’agriculture et à l’absence de politique de remédiation. A tel point que l’opinion extérieure ignore généralement qu’il existe une forte production et même des exportations dans le secteur agricole haïtien.
Au delà de la question des forêts, Haïti dispose de potentialités qui permettraient de reconstruire l’équilibre écologique. Un journaliste haïtien, notait dans un article de la revue que : “Malgré l’état de délabrement de l’environnement en Haïti, le pays abrite une richesse biologique et écologique exceptionnelle. Des broussailles semi-désertiques aux forêts nébuleuses en passant par les mangroves, les récifs coralliens, les lacs, les étangs, zones humides et autres rivières, tout concourt à faire de cet espace un véritable paradis. Selon le ministère de l’agriculture, la flore naturelle haïtienne compte plus de 5OOO espèces de plantes vasculaires, 30% des espèces végétales et plus de 2000 espèces animales sont endémiques à l’île d’ Haîti.”

Quelques vérités sur le Vaudou
Croyez-vous que ce soit un hasard si, dans la cinématographie sont exclusivement associées au vaudou haïtien, les mises en scène macabres présentant des bandes de zombis dévoreurs de chair humaine, des cérémonies angoissantes de transes où gicle le sang de bêtes sacrifiées et où des sorciers maléfiques jettent des sorts aux bons chrétiens ?
Non ce n’est pas un hasard ! Ceci participe de l’entreprise idéologique séculaire visant à donner du Noir en général, et de l’Haïtien en particulier, l’image du sauvage inhumain, donc non civilisé, qui ne saurait avoir créé de religion transcendante, méritant forcément la malédiction et les punitions divines, dont ils ne peuvent s’ échapper qu’à travers la sollicitude du blanc chrétien.
Et, hélas, cette horrible désinformation raciste a gangrené de larges fractions des opinions. L’on entend dire que toutes les catastrophes subies par Haïti sont une punition infligée à cette population coupable de pratiquer un vaudou diabolique.
Critiquant l’idée qui voudrait que le mal résiderait dans l’être haïtien lui même, le sociologue Laënnec Hurbon, professeur à l’Université de Port-au-Prince, relevait que : “Malheureusement, il y a de nombreux Haïtiens pour le croire, au point de se précipiter dans les Eglises pentecôtistes pour exorciser les diables qui auraient - déclarent les pasteurs- choisi la terre d’Haïti pour établir leur royaume dans le monde.”
La réalité c’est qu’il n’y a pas de différence de nature entre le jeteur de sort de la Bretagne chrétienne et celui, vaudouïsant, d’Haïti. Il n’y a pas de différence de nature entre le sacrifice de l’agneau dont parle la bible et celui des animaux dans le vaudou. Et si peut paraître spectaculaire le fait de se frotter du sang de la bête, ce rite se retrouve ,idéalisé, dans le fait de boire “le sang du Christ” symbolisé par le vin de la communion chrétienne.
Enfin, ne retrouve -t-on pas le phénomène de transe dans de nombreuses sectes d’inspiration chrétienne ? Le goût de la sorcellerie et du quimbois n’est pas plus intrinsèquement propre au peuple haïtien qu’à aucun autre peuple. Sauf que l’histoire de toutes les sociétés humaines montre que, quand les peuples subissent des périodes de catastrophes, sont privés de moyens de vie et d’espérances, les pratiques supersticieuses se répandent plus facilement aux confins des religions. Il suffit de se reporter au Moyen-âge dans les pays occidentaux pour en être convaincu.
La vérité est que le Vaudou est une religion, comme les plus de 5OOO autres pratiquées de par le monde, avec ses prières, ses appels à la grâce et au bonheur, avec ses offrandes, avec sa perception du bien et du mal.
Ce qu’il faut savoir surtout, c’est que si le Vaudou a une telle présence dans la société en Haïti, c’est parce qu’il a joué un rôle fondamental dans la résistance contre l’esclavage et dans la révolution haïtienne. Socle culturel pour s’ancrer dans l’humanité niée par les esclavagistes, puissant vecteur de rattachement aux civilisations d’origine, lieu indestructible de contre pouvoir dans la société coloniale autour des prêtres, lieu d’organisation et de préparation de l’insurrection et pour galvaniser les combattants :
Voilà ce que l’Occident ne peut pardonner et qui explique sa diabolisation.

"Gloire à la grande Haïti"
C’est Haïti qui a inauguré, en 1791, le cycle des abolitions de l’esclavage. C’est son armée d’esclaves noirs qui a infligé aux troupes de Napoléon Bonaparte l’une de leurs plus cuisantes défaites. Ces deux événements suffiraient à lui conférer sa grandeur historique. Mais celle-ci lui vient surtout du caractère universel de la Révolution haïtienne que l’Occident n’a eu de cesse d’occulter.
Une Révolution exportatrice de liberté
1- Tout de suite après l’indépendance en 18O4, Dessalines entreprit, en mai 1806, le projet de libérer la Martinique, la Guadeloupe et Marie Galante. Il commençait à armer au cours de l’année 1805 de nombreux petits bâtiments et déléguait des émissaires pour provoquer des révoltes d’esclaves dans les colonies françaises, anglaises et espagnoles. Roberjot Lartigue., agent français en service à Saint-Thomas, en témoigne.
2- En 1805, le fondateur de l’indépendance haïtienne a reçu, conseillé et aidé MIRANDA pour libérer la Bolivie.
3- Alexandre PETION a reçu à deux reprises (1815 et 1816) Bolivar, l’a aidé en hommes et en munitions dans sa lutte pour libérer le Vénézuéla :
“En 1815, Haïti se convertit non seulement en important fournisseur d’approvisionnement mais aussi en première base navale. Le gouvernement d’Haïti s’engagea à accorder toutes aides et facilités à la condition que soit proclamée la liberté générale des esclaves au Vénézuéla. Pétion s’engagea à dépêcher le “Wilberforce”, puissant navire de guerre haïtien, en assistance aux patriotes pour patrouiller devant les côtes vénézuéliennes.

Une Révolution profondément humaniste
1- La constitution haïtienne de 1816, en son article 44, reconnaît la nationalité Haïtienne à quiconque, africain ou asiatique, viendrait s’établir en Haïti.
2- Haïti a accueilli comme Haïtiens les Polonais enrôlés dans le corps expéditionnaire de Bonaparte et qui se fondent dans la population haïtienne comme citoyens à part entière. On les retrouve surtout à Casale, une commune du département de l’Ouest.
3- Haïti a offert l’asile politique aux anciens “Montagnards” de la Convention Française après la réaction thermidorienne. Leurs descendants vivent encore à Jacmel. Ainsi, Billaud-Varennes est venu se réfugier en Haïti où il est mort, entouré de la considération générale. Il en fut de même du fils de Camille DESMOULINS et de plusieurs membres de sa famille.
4-Haïti a accueilli des Américains noirs au 19 ème siècle en deux vagues successives.
5- Haïti a pris fait et cause pour la Grèce et manifesté publiquement “ à la face de l’univers” la solidarité nationale haïtienne avec la lutte des Grecs pour leur liberté et leur indépendance en 1821, 1822.
6-Haïti a défendu à la Société Des Nations (SDN) l’Abyssinie (l’Ethiopie du Négus) agressée par l’Italie fasciste de Mussolini.
Tout a été fait pour gommer de l’histoire les avancées positives rendues possibles par la libération autant que les initiatives visionnaires des gouvernants haïtiens après l’Indépendance.
Dessaline : Socialisme avant l’heure
Après avoir annulé tous les titres de propriété frauduleux et douteux des affranchis qui prétendaient avoir des filiations aux colons chassés ou assassinés, l’empereur s’écria : “Et les pauvres nègres dont les pères sont en Afrique, ils n’auront rien ?” Plus tard, il imposa que la Constitution de 1806 stipule : “ la propriété appartient à la nation haïtienne.” Et, sentant venir la conspiration, il met en garde : “Avant la prise contre Leclerc, les hommes de couleur, fils de blancs, ne recueillaient point la succession de leurs pères ; comment se fait-il que depuis qu’on a chassé les colons, leurs enfants réclament leurs biens... Prenez garde à vous nègres et mulâtres. Nous avons combattu contre les blancs. Les biens que nous avons acquis en versant notre sang appartiennent à nous tous ; j’entends qu’ils soient partagés avec équité.”
Christophe : Promoteur de l’éducation
1- Il est comparé à un Frédéric II de Prusse. Bâtisseur, il fait construire l’extraordinaire palais “Sans Souci” et la Citadelle Laferrière, fierté du peuple Haïtien, considérée comme la huitième merveille du monde, classée par l’UNESCO comme patrimoine de l’humanité.
2- Il mena avec succès une politique d’extension systématique de l’instruction publique et a beaucoup mis l’accent sur la discipline et l’éducation avec l’aide de ses amis anglais Wilberforce et Clarkson.
3- Sous le règne de Christophe, des petits Haïtiens allaient déjà à l’école de mèdecine. Et le royaume fabriquait ses propres armes.
4- Il fit introduire dans son royaume des charrues modernes à titre expérimental, vers 1818. Il avait foi dans l’indépendance économique et favorisa ainsi un idéal d’auto suffisance. Son secrétaire, Vastey, écrit :”
Une nation doit être capable de suppléer elle-même à tous ses besoins principaux. Si elle dépend pour sa subsistance de marchés étrangers, elle n’a plus dans ses mains le contrôle de son indépendance.”
Le développement de l’autosuffisance alimentaire
1- De l’indépendance à l’occupation américaine , Haïti demeurait, en dépit de tout, un pays essentiellement riche de son agriculture : une agriculture qui misait sur la qualité des produits. La preuve le café haïtien, variété des Matheux dite café de Saint-Marc, réputé le meilleur du monde pendant longtemps, servait à bonifier les autres cafés, comme cela était enseigné à l’École Coloniale de Paris en 1901 par le professeur C. Raoul. Le Rhum Barbancourt étant considéré par les connaisseurs comme le meilleur du monde.
2- L’économie haïtienne reposant sur la paysannerie (75% d’agriculteurs) a toujours été jusqu’à l’occupation américaine, voire un peu après, tout-à-fait autosuffisante.
3- Les riz haïtiens ( “la crête”, “riz jaune”,”madan gougousse”) cultivés dans les plaines de l’Artibonite, de grande qualité, ont été supplantés par les riz de Miami, imposés par les Etas-uniens, le plus souvent sous couvert d’aide.
4- Haïti, jusqu’à tout récemment, a été le premier exportateur de mangues de qualité vers les USA.
5- Haïti est le premier pays de la région à inaugurer (1949- 1950) le tourisme de qualité, avec ses grands hôtels de luxe, ainsi que le tourisme historico-culturel avec ses monuments et son folklore. C’était “ Vive la différence” sous la présidence de Dumarsais Estimé. Le génie du peuple haïtien
Qui connaît réellement la société haïtienne admettra sûrement que sa population a toujours su faire preuve d’un formidable génie pour résister aux épreuves : On pense à sa capacité à optimiser le rendement des cultures diversifiées sur les parcelles de terre, on pense aux capacités inventives dans l’artisanat et la production de biens nécessaires à la vie quotidienne. D’autre part, il serait intéressant d’étudier les facteurs qui expliquent comment un peuple à qui l’on refuse le droit à l’instruction puisse produire une telle pléthore d’intellectuels de très haut niveau. La haute conscience de son identité et un héritage culturel cultivant la dignité y sont certainement pour quelque chose ;
L’art haïtien (littérature, peinture, sculpture, ferronnerie, musique, théâtre) se passe de présentation .
Une chose est sûre : il a largement influencé la culture de l’ensemble caribéen et même au-delà.
1-Littérature : Citons quelques noms illustrant la littérature haïtienne qui s’exprime en quatre langues (français, créole, anglais, espagnol) Anténor Firmin (De l’égalité des races humaines, réponse à Gobineau, qui a défrayé la chronique en France lors de sa parution) ; Hannibal Price ( Programme : “La réhabilitation de la race noire par la République d’Haïti”) ;
... Demesvar Delorme ; Louis Joseph Janvier ( “Aimer son pays et sa race de furieuse amour”) ; Etzer Villaire, Jean-Price Mars (précurseur de la négritude) ; Jacques roumain ; Jacques Stephen Alexis, Marie Chauvet, René Depestre ; Magloire Saint-Aude, Edwige Danticat ; Dany Laferrière ; Gary Victor, Maurice Sixto (maître de l’audience, genre typiquement haïtien).
2- Peinture : La peinture “naïve” haïtienne est internationalement connue. Outre qu’il convient de s’interroger sur le choix de ce qualificatif manifestement connoté, il faut insister sur le fait qu’elle ne représente qu’un pan de la peinture haïtienne.
Entre l’école du Cap-Haïtien avec les frères Obin et le mouvement Saint-Soleil avec les paysans de Kenskoff menés par Tiga et dont André Malraux a largement fait la publicité à travers le monde, il y a tellement de variantes, de recherches, d’invention, de modernité et d’originalité ! Citons quelques noms remarquables : Bernard Wah ; Préfète Duffaut ; André Pierre, Bernard Séjourné ; Valcin I et II ; Stevenson Magloire ; Jean Michel Basquiat ; Hervé Télémaque ; Jacques Enguerand Gourgue ; Jean René Jérôme ; Marie-Rose Desruisseau.

Domination étrangère et dictatures :
Les puissances occidentales n’ont jamais permis à la première République noire de se développer. Après qu’ait été organisé un sévère blocus pour l’asphyxier, Haïti a dû subir l’invasion par les USA. L’occupation qui a duré de 1915 à 1934, s’est illustrée par des massacres, des camps de concentration, des corvées pour les paysans, des expropriations, autant de crimes à propos desquels le monde occidental est totalement amnésique. C’est cette occupation qui a permis la création de forces armées qui ont contrôlé la vie haïtienne jusqu’à favoriser l’accès au pouvoir de François Duvalier : 30 ans de dictature relayée par celle de son fils Jean-Claude. La déstabilisation du pays, après le retour d’Aristide qu’avait permis la mobilisation de la population et de l’opinion internationale, est plus qu’évidente.
Ils ont organisé le blocage de l’aide et des prêts internationaux (ce qui n’avait pas cours sous Duvalier dont les fortunes volées au peuple haitien permettaient aux banques suisses de prospérer). Rappelons aussi qu’en mai 2002, les USA ont interdit les importations de crevettes en provenance de Haïti au prétexte que les pêcheurs haïtiens utilisaient des méthodes de pêche nuisibles aux tortues de mer. La récente intervention n’avait certainement pas pour but de relayer les protestations des mouvements populaires contre Aristide, mais bien de reprendre directement la main. Les “rebelles” super armés du nord, dont les accointances avec l’ancien régime ne sont pas un mystère, n’auraient pu s’équiper et agir sans l’assentiment des USA. D’ailleurs ces rebelles n’ont pas manqué de réprimer des manifestations ouvrières contre la zone franche qu’on installe actuellement à Ouanaminthe, sur les meilleures terres agricoles de l’île. Il faut ajouter à cela que l’oppression et l’exploitation du peuple haïtien ont été particulièrement brutales, du fait des connexions existant entre des dirigeants de l’armée, de la police, des membres des gouvernements successifs et les trafiquants internationaux de drogue.
Le pillage impérialiste
Dettes, indemnités et vol Haïti a connu le destin d’une victime des relations internationales inégales de type Nord-Sud. Le langage de la force pour traiter avec les Haïtiens a été monnaie courante. A titre d’exemple, un rapport de la Légation de France commentait que l’influence de la France avait tendance à baisser dans les rapports avec les Haïtiens du fait que ceux-ci n’avaient pas vu pendant trop longtemps une unité de la marine de guerre française en rade de Port-au-Prince.
1- Pour sortir le pays de la situation d’isolement, de l’incertitude internationale, des perpétuelles menaces et inquiétudes, Pétion propose à la France des indemnités. Mais c’est Jean-Pierre Boyer qui aura la lourde responsabilité de traiter avec la France. Les tractations ont duré de 1821 à 1825. Boyer propose une indemnité de 80 à 100 millions de francs-or, selon les capacités économiques, peut-être surestimées, de la République. Charles X décide de façon unilatérale d’imposer une indemnité de 150 millions, destinés soi-disant à dédommager les anciens colons, et aussi “l’emprunt destiné à acquitter l’indemnité coloniale doit être contracté à Paris” selon Charles X.
2- La double dette (indemnité et emprunt) fut acquittée en 1888. Le paiement de l’indépendance enrichit davantage les banquiers que les anciens colons. L’Etat haïtien a dû contracter trois emprunts, en 1825, 1874, et 1875, auprès des capitalistes français : le montant des sommes pompées du Trésor public haïtien en un demi siècle avoisine les 120 millions de francs-or.

3- Il faut énumérer également l’énormité de quelques autres “indemnités” réclamées par toutes les puissances capitalistes, manifestant l’insolence de leur impérialisme : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis.
* L’affaire du capitaine Batsch en 1872 : 15000 dollars pour deux commerçants allemands qui ont prétendu avoir subi des dommages du temps des présidences de Geffard( 1859-1867) et Salnave ( 1867-1869).
* Après l’aventure de Salnave ( mort assassiné) : 251.275 francs pour les résidents français, 217.775 pour les anglais,89.260 dollars pour les américains.
* En 1879, les États-Unis réclament 2.466.480 dollars pour Pelletier, condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir vendu des esclaves à Cuba en 1861.
* En 1833, après le pillage de Port-au-Prince, JULES FERRY menace le pays d’une intervention militaire et exige trois millions de francs de dédommagement.
* En 1893 Haïti doit payer 6OOO piastres pour l’arrestation de Mews, un contrebandier américain, puis 160.000 dollars pour la veuve du britannique Maunder.
* 20.000 dollars pour l’allemand Lüder condamné pour manque d’égard envers un agent, et pourtant grâcié, sous Tirésias Sam (1896-1902). Ajoutons à cela, que les USA, qui insistaient pour avoir le contrôle de la banque d’Haïti, enlèveront le 17 décembre 1914, en plein jour, manu militari, le stock d’or du pays, soit 500.000 dollars, propriété incontestable du gouvernement haïtien. Et puis, comment ne pas considérer le cas de tous les dirigeants haïtiens déloyaux qui, avec la complicité des impérialistes, ont détourné les recettes de l’Etat , plus de la moitié parfois !
C’est ainsi que, comme l’indiquait Leslie Manigat, “Haïti n’est devenue et n’a pu devenir “sous-développée” qu’à partir du 19 ème siècle”, invoquant deux raisons : “D’une part, elle a raté le train des révolutions techniques et industrielles avec leurs conséquences modernisatrices...et d’autre part, elle a été saisie telle quelle pour être inscrite dans le schéma des rivalités des grandes puissances impérialistes à la recherche de “colonies sans drapeau” et de zones d’influences.” Victime du néo libéralisme
C’est ainsi que les puissances impérialistes ont jeté Haïti dans la spirale de la régression. Seuls les intérêts étrangers étaient sauvegardés. Un exemple concret pour illustrer cela : les compagnies américaines, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont éradiqué systématiquement les cultures de denrées et de vivres un peu partout en Haïti, au profit de la culture du sisal et de l’hévéa, afin d’obtenir des matériaux nécessaires à l’économie de guerre.
Haïti, écrasée dans l’engrenage de la dette illégitime, a de plus à subir aujourd’hui l’agressivité de la politique néolibérale, dans le cadre de la globalisation avec son cortège de privatisations et de main mise sur les ressources nationales.
Ainsi, après 1997 : ” deux entreprises ont fait l’objet d’une privatisation par capitalisation. La minoterie d’Haïti a été cédée à un consortium haïtiano-américain composé de UNIFINANCE SA, Continental Grain, de la SEABORD Corporation. Le Ciment d’Haïti revient à un consortium haïtiano-suisso-colombien réunissant la compagnie nationale de Ciment, Holderbank et Colcklinker.”(annuaire économique 99 de l’institut CEDIMES).
C’est également l’installation de zones franches qui permet l’exploitation du peuple haïtien. En mars 2003, les bulldozers ont détruit les plantations de maïs et de pois qui allaient être récoltés pour installer la zone franche de Ouanaminthe.
Valérie Técher développe, dans un article de la revue Volcan déjà citée, l’exemple de l’assemblage des Levi’s 505 et 555 dans l’usine CODEVI que GRUPO M, la plus importante société textile dominicaine, a installé dans la nouvelle zone franche :
“Les tissus arrivent de la capitale de la République dominicaine pour être assemblés à Ouanaminthe. Ils reviennent ensuite à leur point de départ pour les opérations de fi- nitions avant de partir aux Etats-Unis. Les 3OO ouvriers de l’usine haïtienne produisent 8000 pièces chaque semaine pour un salaire de 16 euros.”
Les USA profitent encore de leur statut de puissance impériale pour enterrer d’énormes quantités de déchets toxiques dans le sol d’Haïti. On ne peut enfin parler du pillage d’Haïti, sans évoquer l’exploitation quasi esclavagiste de la diaspora haïtienne. Les médias évoquent souvent l’aspect “boat peoples”, l’aspect immigration clandestine. Mais ils occultent une réalité économique tangible. La masse de travailleurs haïtiens à l’étranger est une source énorme de création de richesse. Cette diaspora, qui est universellement connue pour être très majoritairement constituée de gros travailleurs, est sur exploitée, nous l’avons dit, souvent dans des conditions semi-esclavagistes. Les médias officiels ferment les yeux. Combien ont parlé de ce cas, révélé le mois dernier, qui est loin d’être exceptionnel, de la petite Haïtienne de douze ans tenue en esclavage et abusée sexuellement dans une riche famille de Floride.
Et quand un grand fabriquant de jeux vidéos états-unien lance sur le marché un jeu où l’on doit tuer des émigrés haïtiens pour gagner, l’opinion internationale ne s’en émeut pas outre mesure. Croyez-vous que l’inexistence systématique dans les médias de photos des usines d’assemblage, des zones résidentielles, des villas bourgeoises, des monuments, des plantations de pois et de riz, soit le fruit du hasard ?
Certainement pas ! Ils ne veulent surtout pas donner des éléments à l’opinion publique pour qu’elle comprenne que la pauvreté des masses haïtiennes n’est pas due à la malédiction , mais qu’elle est le fruit du pillage impérialiste et de l’inégalité qu’il entretient dans la société haïtienne.
Reconnaissance, justice solidarité
Ainsi, le vrai nom de la prétendue malédiction qui pèse sur Haïti, c’est L’IMPERIALISME OCCIDENTAL. Un impérialisme, insatiable, raciste et revanchard qui n’a jamais digéré la défaite que lui a infligée un peuple noir. Ce sont les impérialistes qui confinent le peuple haïtien dans l’extrême pauvreté et l’instabilité et cela est un insoutenable crime contre l’humanité. Certes, la responsabilité des complices et des exploiteurs de l’intérieur est indéniable, mais ces derniers n’auraient pas fait long feu face au courageux peuple haïtien sans l’appui des puissances extérieures, principalement des États-Unis.
Les médias occidentaux ont toujours fait un silence total sur les luttes menées par les organisations populaires en Haïti. Cela n’empêche qu’elles autorisent l’espoir. Haïti verra assurément le bout du tunnel ! Tous les peuples opprimés et particulièrement les peuples noirs ont une dette morale envers Haïti. Et celle-ci nous impose le devoir de solidarité. A travers ce dossier, nous avons pu mesurer l’importance du combat qui doit être mené pour la réhabilitation des peuples noirs en général et du peuple haïtien en particulier ; Une autre dimension nous paraît fondamentale, c’est la nécessité que le combat anti-impérialiste soit mené dans le cadre d’une offensive commune et qu’enfin nous considérions que la tâche majeure consiste à lutter contre les divisions que les ennemis ont semées parmi nous.
Il faut définitivement bannir tout misérabilisme et comprendre que le peuple haïtien n’a pas besoin de charité, mais qu’il a droit au respect, à la reconnaissance , à la justice et à la solidarité militante. Et, ici, notre premier engagement doit être de travailler à effacer l’image tronquée qui est donnée de Haïti et de son peuple.
Nous avons le devoir de vulgariser les informations justes sur son histoire, sur les causes de ses difficultés. En particulier, montrer combien est absurde la thèse qui prétend que la misère en Haïti serait due à son statut d’indépendance !
Notre solidarité doit aussi être pratique, à travers :
Le soutien aux initiatives de reconstruction (reboisement, programmes de développement pour l’utilisation d’énergies alternatives et renouvelables)
Le soutien aux programmes de solidarité pour la construction d’infrastructures sanitaires et éducatives
Le soutien à l’économie artisanale qui permet l’entrée de devises directement entre les mains de la population
Le soutien dans le combat pour la souveraineté contre toute forme d’ingérence impérialiste
Le soutien dans le combat pour la réparation.

BIBLIOGRAPHIE- Jean Fouchard, Regards sur l’histoire, Ed. Henri Deschamp,1988
- Jean Métellus, Haïti, une nation pathétique, Ed. Maisonneuve et Larose, 2003
- Leslie F Manigat, les deux cents ans d’histoire du peuple Haïtien 1804-2004 Collection CHUDAC, Port-au-prince, mai 2002
- Gérard et Mimi Barthélémy, Haïti, la perle nue, Ed Vents d’ailleurs, 2001
- Jean Ledan fils, A propos de l’histoire d’Haïti, saviez-vous que..Tome I, II, VIII imp. Henry Deschamps
- Yves Saint-Gérard, Haïti 1804-2004, entre mythes et réalités, Ed. Le Félin, Paris, 2004
- Volcan N° 56 (2004)
- Solidaire du 6/IO/2004
- Panorama économique et social de la Caraïbe (INSEE 1999)
- Tableau de bord, décembre 1998 ( DEE) Ministère de l’économie et des finances de la République d’Haïti
- Conjoncture 99 ( Institut CEDIMES)
- Journal Asé Pléré Anou Lité (Martinique)

NDLR : Nous tenons à remercier particulièrement Jean Desrosier DESRIVIÈRES qui a largement contribué à la réalisation de ce dossier




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