Carlos Nerilus, un ressortissant haïtien, vivant en République a été décapité à la hache le 2 mai dernier en pleine rue dans le quartier populaire de Herrera par un individu du nom de Rusbert de Leon Lara, en présence d’une foule, comprenant enfants et adolescents, venue assister au crime prémédité.
Cet acte qui se situe bien évidemment dans la continuité de tous les autres crimes restés sans sanctions légales et encore moins de sanction morale, démontre une fois de plus la détérioration des rapports humains en République Dominicaine, ainsi qu’entre les deux États. Non, Monsieur le Président René Préval, ce crime n’est pas un « règlement de compte entre particuliers », ni une simple « affaire civile ». Non, Monsieur Fernandez, ce crime n’est pas un « incident entre individus ».
Vous ne pouvez ignorer tous les deux la portée symbolique de cet acte public, « chaleureusement applaudi ». Si l’un et l’autre vous refusez de reconnaître le monstre qui montre ses crocs, vous niez vous-mêmes aux deux pays que vous représentez au plus haut niveau, leur place et leur dignité. L’un comme l’autre n’avez le droit de vous taire.
L’un comme l’autre vous ne pouvez passer aux affaires courantes, sans sanctionner cet événement d’un AUTRE acte symbolique fort. Des deux côtés de cette frontière douloureuse, les gens ne se sont pas trompés. Le silence des uns et la colère des autres en disent long. RIEN ne sera comme avant. Une étape mentale a été franchie. Cet acte n’est pas un aboutissement, c’est un ballon d’essai. Marquez cette date messieurs les Présidents.
Ni l’un ni l’autre n’avez le droit de trouver de circonstance atténuante à ce geste dont nous sommes tous collectivement responsables. C’est cette responsabilité collective que vous ne voulez pas endosser. Cette responsabilité d’homme tout court. Les stratégies de consolidation de pouvoir, le clientélisme, la langue de bois électoraliste, l’insensibilité, voire le cynisme légaliste, sont inacceptables dans un tel contexte. Dans 5 ans, 10 ans 50 ans, comme Trujillo, Balaguer, Duvalier, Cedras, Namphy et les autres avant vous, l’histoire se rappellera que vous vous êtes tus.
Comme les complices silencieux, les témoins aveugles, les opportunistes politiques qui jalonnent l’histoire de nos deux peuples, on se rappellera votre silence retentissant. On se rappellera surtout que ces gestes de barbarie sont restés SANS conséquences. Ayons le courage politique d’aller au-delà des positions diplomatiques de circonstance !
La justice dominicaine devra bien sûr faire son travail, c’est la condition sine qua non même de toute discussion future.
La communauté haïtienne en République Dominicaine n’est pas seule ! Non seulement elle n’est pas seule, mais elle est nombreuse. Un jour, elle aussi demandera des comptes. Les petits Rusbert de Leon Lara n’y changeront rien. Je suis fier de mes compatriotes qui résistent à la bête immonde, travaillent, étudient, construisent en République Dominicaine, pour s’offrir une vie que leur propre pays ne pouvait leur offrir. Même si de manière perverse, ils sont parfois obligés de nier leur héritage encombrant.
Je suis avec vous tous de tout cœur. Nous avons une grande nation, une nation malade, mais une nation qui a payé très cher le prix de sa liberté, de sa culture, de son autonomie politique. Et cette nation c’est la nôtre, on n’en a pas de rechange. De même nous sommes des voisins condamnés à vivre ENSEMBLE et non l’un contre l’autre.
En République Dominicaine, pour un Haïtien, crimes à répétition, arrestations et rapatriements forcés sont monnaie courante. De janvier à avril 2009, au moins 17 cas de ressortissants haïtiens assassinés ont été répertoriés. Les pires dérives sont possibles. La barbarie, une fois tolérée, ne connaît pas de limite. C’est aussi parce que la République Dominicaine n’a jamais été mise au banc des nations pour les massacres de Trujillo, qu’aujourd’hui, certains exaltés se sentent légitimés pour commettre les pires excès.
Ceci est définitivement le signe de plus grandes dérives à venir. Monsieur Fernandez, Monsieur Préval, agissez. Montrez de la grandeur. Trouvez, au moins sur ce point, votre place – votre bonne place - dans l’histoire de cette île ! Donnez l’exemple, soyez des hommes debout. Ne soyez pas avec les monstres.
Raoul Peck Ancien Ministre de la Culture de la République d’Haïti Port-au-Prince 15 Mai 2009
Texte acheminé à la rédaction de Caraibe Express le 16 mai 2009.