Je fais désormais partie de ceux que les dirigeants du SLM appellent « les pionniers du Salon du Livre » et à qui, en signe de reconnaissance pour leur assiduité, on a remis cette année une épinglette souvenir. Il faut croire que le nombre de pionniers était plus imposant que prévu, car le jour de la distribution des pin’s, comme diraient les Français, il n’y en a pas eu suffisamment pour épingler tout le monde. (C’est connu, les chiffres ne font pas toujours bon ménage avec les lettres). Du coup, certains pionniers sont repartis bredouilles, comme moi, avec le revers de leur veston dégarni. Je n’aime pas particulièrement les médailles, (sauf celles en chocolat), je ne me suis donc pas formalisé du peu de cas qu’on a pu faire de mon assiduité...
Trente années de fréquentation du Salon m’ont apporté la mansuétude.
Elles m’ont aussi fait réfléchir sur l’état de notre littérature.
Certes, je me réjouis comme tout le monde, de l’immense succès que connaît annuellement cette grande fête du livre. En revanche, je ne peux pas passer sous silence la tristesse que me cause la frappante disparité, que l’on voit lors du Salon, entre le livre québécois et le livre français... de France.
Par une aberration de l’histoire, au Québec, nous écrivons nos livres en français, comme le font les Français. Tout le monde sait que dans ce pays le nombre d’écrivains dont la notoriété dépasse les frontières est plus grand que dans le nôtre.
C’est pour cela aussi que, chaque année, afin d’attirer davantage de visiteurs, les dirigeants de notre Salon font venir à Montréal des « invités d’honneur » puisés parmi ceux qui jouissent de la plus grosse cote du jour. Ces célébrités, qui font la joie des habitués du Salon, réjouissent par la même occasion nos médias pour qui elles représentent une manne providentielle.
Lors de la tenue du Salon, nos journaux, nos émissions de radio et de télévision se précipitent à bras raccourcis sur ces auteurs vedettes qu’ils pourraient difficilement rencontrer autrement... Vu le manque d’espace et de temps dont souffrent nos médias, un choix s’impose.
Du coup, (peut-on réellement les blâmer ?), ils réservent leurs ondes aux plus célèbres : à ceux qui viennent de loin. Quant aux auteurs d’ici – à l’exception de quatre ou cinq, dont la notoriété fait tache d’huile – ils sont fatalement laissés de côté. Et, si de surcroît ils ont été publiés peu de temps avant le Salon, c’est bien regrettable pour eux. Ils n’auront sans doute jamais plus la chance d’être invités à aucun micro.
À titre d’exemple, je citerai le cas d’un invité d’honneur de cette année : Bernard Werber. On a entendu cet auteur (heureusement, fascinant !) à C’est bien meilleur le matin, chez Christiane Charrette, à Vous m’en lirez tant, et sans doute ailleurs...
Devant cette flagrante injustice, en arpentant les couloirs du Salon, j’ai souvent pensé qu’il y aurait peut-être place pour deux salons du livre à Montréal. Le premier, tel qu’on le connaît depuis trente ans, ouvert à tous ceux qui écrivent en français, et qui sont représentés par les éditeurs français (plus en moyens que les nôtres), et un second – qui pourrait s’appeler le Salon du Livre québécois.
Celui-ci serait exclusivement consacré aux livres écrits par les auteurs d’ici et publiés au Québec. Seuls les auteurs et les éditeurs de chez nous y seraient à l’honneur. Du même coup, devant la célébration du livre d’ici, les plages que l’on ouvre habituellement à la radio et à la télévision aux auteurs français seraient exclusivement offertes à ceux qui oeuvrent d’arrache-pied dans la littérature de chez nous. On ne manquerait certainement pas d’éditeurs pas plus qu’on ne manquerait d’auteurs disposés à faire des séances de signatures.
Ne se publie-t-il pas quelque 4 000 titres par an !
Au fait, combien d’auteurs québécois de ces nouveautés publiées cette année avez-vous entendu à la radio ou vu à la télévision durant le dernier Salon du livre ?
Pour une fois, au Salon du livre québécois, les projecteurs seraient invariablement tournés vers nos seuls artisans.
Vous avez dit accommodement raisonnable ! Comme dirait Pierre Légaré : « J’dis ça comme ça ! »