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Michaëlle Jean, la « Petite Reine » du Canada

Vingt-septième gouverneur général du Canada, immigrée et polyglotte, elle est immédiatement devenue la très photogénique icône du multiculturalisme de son pays.

par Stéphane Kovacs
Photo : Reuters

Le gouverneur général du Canada, Michaëlle Jean, vient de terminer une visite de cinq jours en France où elle a assisté aux cérémonies de commémoration de l’abolition de l’esclavage en présence de Nicolas Sarkozy.

Un port altier, un regard pétillant, mais une voix chargée d’émotion. Celle que son pays a baptisé la « Petite Reine » connaît désormais tous les honneurs, mais n’oubliera jamais ses racines.

Descendante d’esclaves, née en Haïti il y a cinquante ans, Michaëlle Jean est la première femme noire à avoir été choisie, en août 2005, pour représenter, pendant cinq ans, la reine Élisabeth II, chef d’État officiel du Canada.

Noire, immigrée et polyglotte, vingt-septième gouverneur général du Canada un poste essentiellement honorifique , elle est immédiatement devenue la très photogénique icône du multiculturalisme canadien.

Sa visite en France, qui s’achève ce soir, aura eu plusieurs temps forts : après les célébrations du 8 Mai, le début des festivités du 400e anniversaire de la ville de Québec et, enfin, une commémoration de l’abolition de l’esclavage. « L’occasion idéale, dit-elle, de célébrer les liens profonds et de très longue date entre la France et le Canada, toute cette histoire que nous avons en partage » , quatre siècles après la fondation de Québec par l’explorateur Samuel de Champlain, le 3 juillet 1608.

Dans son discours d’investiture, en septembre 2005, elle avait rappelé ses ancêtres esclaves, sa naissance à Haïti, « un des pays les plus pauvres du monde » , « barbelé de pied en cap » , et sa famille, aux prises avec « la tyrannie » du régime de François Duvalier. Puis son arrivée dans une petite bourgade de l’Est du Québec, Thetford Mines, à l’âge de 11 ans, et la découverte extraordinaire de la liberté que fut, pour elle, le Canada.

Son accession à la tête de l’État a galvanisé les immigrés. « Ma nomination est la preuve que tout est possible en ce pays », leur a-t-elle lancé.

« Briser les solitudes », telle est la devise choisie par son Excellence. « Il faut, insiste-t-elle, mettre fin à l’étroitesse du chacun pour soi, chacun pour son clan et instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. »

Toute sa vie durant, elle s’est attachée à aider les plus défavorisés. Boursière, diplômée de l’université de Montréal en littérature et en langues elle en parle couramment cinq : français, anglais, italien, espagnol et créole , Michaëlle Jean s’engage d’abord dans la défense des femmes victimes de violences conjugales. Elle participe à la création d’un réseau de refuges d’urgence.

Elle connaît ensuite une brillante carrière de journaliste à la radio et télévision publique Radio Canada, où elle animera plusieurs émissions populaires, et présentera les journaux télévisés.

Mariée au cinéaste documentariste français Jean-Daniel Lafond, Michaëlle Jean a dû renoncer à sa double nationalité deux jours avant son entrée en fonction, pour faire taire ceux qui s’inquiétaient que le chef des forces armées canadiennes puisse aussi être une ressortissante de la République française. Afin de donner des gages de sa loyauté à ceux qui lui reprochaient d’avoir, dans sa jeunesse, flirté, comme son mari, avec les milieux souverainistes, elle a également été contrainte de publier une déclaration proclamant son attachement à l’unité canadienne.

Toujours aux côtés de ceux qui souffrent, Michaëlle Jean a maintenant, en tant que commandante en chef des forces canadiennes, « l’éprouvante tâche » d’assister les familles en deuil lors des rapatriements de corps de soldats d’Afghanistan. Le Canada, qui vient de perdre son 84e homme depuis son engagement dans ce pays, en 2002, a pourtant décidé de prolonger sa mission jusqu’en 2011.

« Bien sûr que c’est dur : on n’avait pas connu cela, avec une telle intensité, depuis la guerre de Corée !, s’exclame le gouverneur général. Mais on ne peut pas détourner le regard de cette réalité terrible en Afghanistan. Le Canada considère que participer, aux côtés d’autres pays, à la reconstruction de cet État d’Asie centrale est de l’ordre du devoir. Ce travail de sécurisation du territoire est essentiel si nous voulons aller plus avant en matière de reconstruction. Le sacrifice est grand, mais il faut continuer à appuyer les Afghans dans leurs efforts. »

Reçue vendredi par Alain Juppé à Bordeaux, c’est au quartier Saint-Michel, où vivent de nombreux immigrés, que le gouverneur général a choisi de se rendre. « C’est intéressant pour moi, car nous avons aussi notre propre quartier Saint-Michel, une zone également sensible, à Montréal, explique-t-elle. Il y a d’ailleurs des quartiers semblables dans toutes les grandes villes canadiennes. Mon rôle de gouverneur général, c’est d’être proche des citoyens. Je m’investis beaucoup à faire travailler les gens ensemble : construire les liens sociaux, c’est essentiel. C’est cela l’épine dorsale d’un pays. »

Les Français, a-t-elle indiqué dans un entretien accordé à la presse canadienne avant son départ en France, « considèrent toujours le Canada comme un modèle très positif en matière de gestion de la diversité ». Le grand débat au Québec sur les « accommodements raisonnables », ces mesures destinées à minimiser la discrimination dont pourrait être victime une minorité dans la société canadienne, a largement débordé, l’an dernier, sur les questions d’immigration.

« Ce qui a émergé de ce temps de réflexion était tout à fait sain, analyse Michaëlle Jean. Il a été essentiel de dresser le portrait de la société canadienne. Oui, nous sommes terre de diversité. Mais il est plus qu’urgent que nous arrivions à déterminer quelles sont nos valeurs communes, celles que nous voulons ériger comme des institutions fondamentales. »

Cela signifie-t-il remettre en question le multiculturalisme ? « Pas forcément, souligne-t-elle. C’est continuer à célébrer la diversité, fondatrice de notre société, mais en affirmant davantage ce que nous avons en commun. Et cela, on y parvient que dans le dialogue : quand on parle de liberté, mais aussi de responsabilités, et aussi de devoirs. »

« Mieux dialoguer » , ce sera également l’objectif de la table ronde organisée ce matin à Bordeaux, où Michaëlle Jean rencontrera des universitaires et écrivains canadiens et français, autour du thème : « De l’abolition de l’esclavage à la diversité culturelle ».

« Moi, arrière arrière petite-fille d’esclaves, je vous avoue que c’est avec émotion que j’ouvrirai le dialogue sur la nécessité de contrer l’incompréhension des uns, qui engendre trop souvent l’exclusion des autres, confie le gouverneur général. Repenser ainsi le monde au-delà de nos différences et en fonction d’un idéal d’égalité, de liberté et de fraternité, si cher à nos deux pays, est plus fondamental que jamais si, pour reprendre la si belle formule du regretté Aimé Césaire, nous voulons devenirporeux à tous les souffles du monde” ».

« Pour moi, c’est extrêmement émouvant de pouvoir regarder en face ce chapitre historique avec la France et de mesurer la marche de l’histoire, poursuit-elle. Là encore, c’est une histoire que nous avons en partage, parce que l’esclavage était aussi pratiqué dans la Nouvelle-France, aujourd’hui le Québec. Rappelons-nous que lorsque la France a aboli cette traite infâme, des milliers de femmes et d’hommes ont été du coup affranchis, en Nouvelle-France comme dans les colonies du Sud ».

Avec Nicolas Sarkozy, peu enclin à la repentance, Michaëlle Jean plaide le « devoir de mémoire » . « Si le président m’a invitée, c’est qu’il est convaincu que ma propre histoire pouvait contribuer à cette cérémonie, déclare-t-elle. Il est extrêmement sain que la société française décide de se tourner vers ce passé pour construire les liens sociaux essentiels aujourd’hui. »

« On ne peut pas lutter contre le racisme, conclut-elle, sans revenir sur l’état de nos relations à cette période où certains étaient des maîtres et d’autres des sous-hommes. On peut faire d’une mémoire, aussi lourde soit-elle, quelque chose de constructif. Un peuple qui ne cultive pas sa mémoire est un peuple en péril. »




BÔ KAY NOU


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