Constat frustrant :
Malgré les luttes de l’UNEQ et de nombreuses sociétés littéraires, il faut se battre avec les médias pour simplement avoir une simple recension dans les pages de leurs journaux. Quant aux critiques littéraires, il y a belle lurette qu’elles ont relégué aux oubliettes nos auteurs d’ici. Quelques grands noms de la littérature qui ont fait leur marque au fil des années font encore parler d’eux (Marie Laberge, Michel Tremblay, Victor-Lévy Beaulieu, Yves Beauchemin, etc.) et s’en tirent magnifiquement mais pour la très grande majorité des écrivains, le travail se fait à la « mitaine », avec des petits lancements ici et là, suppliant presque les journaux locaux de couvrir l’événement… quand ces derniers ne sont pas occupés à faire un papier sur la dernière partie de hockey de l’équipe du coin.
Presque toutes les vedettes québécoises, journalistes connus ou politiciens écrivent « leur livre » et reçoivent une couverture médiatique immédiate. Ils prennent ainsi une très large part du marché. Dominique Michel, Céline Dion ou Brian Mulroney pourraient simplement avoir leur photo sur la page couverture et un livre rempli de pages blanches qu’ils battraient quand même des records de vente…
Les neuf ou dix salons du livre du Québec sont devenus des grandes foires commerciales. Les lecteurs ne sont plus des lecteurs. Ils veulent perpétuer les images qu’ils ou qu’elles ont vues à la télévision ou sur internet et se procurer l’objet de leur désir…
Tout le monde écrit son livre. Il y a plus « d’auteurs » que de « lecteurs ». Les baby-boomers profitent de leur retraite pour s’inscrire à des ateliers « J’écris ma vie » et chacun y va de sa plume ou de son clavier pour raconter son expérience, ses voyages ou pondre son roman. Ils s’imaginent tous que leur petit « chéri » va devenir le best-seller du siècle. Un tirage à 250 exemplaires est déjà un exploit pour eux… Je les encourage quand même dans leur entreprise hasardeuse et essaie de les conseiller du mieux que je le peux.
Quant aux libraires, force est de constater qu’ils laissent très peu de visibilité aux écrivains de chez nous. Les vitrines sont remplies d’œuvres venant de partout sauf d’ici. Je le sais pour l’avoir expérimenté. Avec le titre quand même accrocheur La Déforme scolaire que j’ai publié en 2005, livre qui a connu un certain succès, j’ai mandaté 10 lecteurs et leur ai demandé d’aller acheter le livre dans 10 librairies différentes. Plusieurs ne l’ont pas trouvé. Et lorsqu’il était là, il « sommeillait » bien anonymement dans l’un des rayons à l’arrière de la boutique, déjà rempli de poussière… le libraire regardant l’objet comme s’il s’était agi d’un OVNI bien dérangeant…
Il existe des œuvres extraordinaires écrites par des Québécois et des Québécoises de toutes origines et qui ne seront jamais connues. Elles dorment malheureusement dans des boîtes hermétiquement fermées chez le distributeur et chez l’éditeur.
Quand un roman québécois est tiré à 1000 exemplaires de nos jours, c’est déjà un tour de force. Les écrivains touchent 10% comme droits d’auteur, Le calcul est facile : 1000 exemplaires distribués, quelques-uns achetés par l’auteur lui-même, plusieurs retours chez le distributeur… Peut-être 350 exemplaires vendus à 20$ … 10% de 7000$ = 700$ pour l’auteur… lorsqu’il reçoit ses droits, très souvent plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard… Quelle sombre aventure ! Et dire que le mythe de l’écrivain « millionnaire » existe toujours dans notre société alors que plusieurs vivent sous le seuil de la pauvreté.
La publicité coûte une fortune. Pour un petit encart de 12 cm par 6 cm perdu quelque part dans le Devoir, il peut en coûter jusqu’à 700$, soit la totalité des droits d’auteur qu’un écrivain peut recevoir sur les ventes de ce livre annoncé... C’est totalement fou.
C’est une jungle dans laquelle il nous faut lutter à tous les instants, un manque de respect flagrant envers nos romanciers, poètes, essayistes et créateurs.
Durant les années 80, les émissions culturelles et les pages littéraires rendaient quand même justice aux auteurs d’ici. Mais depuis l’avènement de l’informatique et l’explosion du monde des communications, l’écrivain de chez nous est devenu le parent pauvre de la culture en général.
Pour avoir moi-même publié plus de 15 romans, avoir connu trois ou quatre beaux succès, je crois qu’en tout et partout, j’ai à peine reçu comme droits d’auteur, au total en 30 ans, l’équivalent du salaire d’un an d’un employé au salaire minimum.
Et je vous fais grâce des Salons du livre. Pour la très très grande majorité des écrivains de notre beau Québec, il faut beaucoup d’humilité pour aller s’asseoir derrière un kiosque de cette grande foire et avoir comme compétitrice à ses côtés Nathalie Simard ou Louis-José Houde dont les files de lecteurs ne cessent de s’allonger.
Ça m’attriste beaucoup de constater que l’on traite nos auteurs québécois comme des moins que rien.
Lorsque j’ai publié mon premier roman en 1980, j’étais assis à côté de Michel Tremblay au kiosque de Leméac. Très intimidé devant la notoriété de ce dramaturge célèbre, j’ai naïvement osé lui demander : « Vous devez signer beaucoup de dédicaces ? » Et il m’a répondu : « Vous savez, la griffe de l’auteur, c’est un mythe ! »
Si c’est un mythe pour lui, qu’est-ce que c’est pour les autres ???
Et puis, les lecteurs, eux ! Quand ils bénéficient d’un budget de 100$ pour se payer des livres, qu’ils ont acheté celui de Nathalie Simard, de Louis-José Houde ou de Jean Chrétien, un dictionnaire, le dernier Harry Potter et un traité de psychologie ou d’ésotérisme, il ne leur reste plus rien du tout pour celui ou celle qui guette « le client », un inutile stylo à la main… Il faut faire quelque chose de toute urgence. Qu’est-ce que ce sera avec la venue du livre électronique qui commence à s’établir solidement un peu partout.
Le livre fera-t-il partie de nos souvenirs anciens, tout comme le sont devenus le cheval et la charrue ?
À qui faut-il le crier ? À qui faut-il s’adresser sinon que d’AGIR avec toutes la fougue des êtres passionnés et souvent solitaires que sont les écrivains et écrivaines de notre Québec français, se retrousser les manches, lever les pancartes, envahir les différents paliers de gouvernements…
Nous n’avons absolument pas d’autres choix.