Mise à jour le 18 décembre
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L’extrapolation des traits caractéristiques de la région des Cayes d’Haïti à travers Madeleine Bégon Fawcett, une résidante montréalaise

Madeleine Bégon Fawcett
Femme créole
Actrice de premier plan du film Double vie

« Mes nuits tourmentées par des cauchemars aux saveurs de café et de fiel ont tracé sur des milliers de pages mes tourments et mes joies d’être de la race humaine. Ainsi, j’ai pu partager avec ma communauté quelques réflexions sur le cynisme de mes frères dans Parlons-en (Délozay), 1988 ; Le prix du sang, 1989, Résidence surveillée, 1990 ; Pasteur Saint-Joie, 1990. »

Par Marie Flore Domond

Par delà de la suite logique, il y a l’évidence d’une citoyenne haïtienne fière de son pays et qui a gardé avec des yeux d’émerveillement la culture de sa région. Elle ne se contente pas de sa féminité naturelle. Il lui faut l’exprimer avec émotion. À l’entendre parler d’écriture, Madeleine Bégon Fawcett est une femme de plume qui baigne littéralement dans le récipient de son encrier. Inutile de se faire porte-voix de cette passionnée des mots. Soyons tout simplement attentif à ses élans :

« Je m’appelle Madeleine Bégon Fawcett. 47 ans, mère de six enfants. Je suis née et j’ai grandi dans la ville des Cayes, au sud d’Haïti. Dans mes souvenirs les plus lointains résonnent la musique des mots que j’essaye d’apprivoiser en vers, en prose et en musique. Mes premiers textes datent de mes treize ans, comme mon premier chagrin d’amour vécu lors de la mort de Mike Brant !

Ayant vécu dans un environnement aux effluves de pain frais, bercée par les vagues écumeuses de l’Océan-mère tapi à quelques coudées de ma porte, fille des vagues, mon imagination n’eut qu’à puiser, coulant de cette source ces mots qui portent les traces de mon enfance…Mon enfance tourmentée par les inégalités sociales dont j’ignorais alors rigueurs et les réelles conséquences sur le devenir de mon pays, Haïti. Haïti le plus brûlant de tous mes souvenirs. Haïti qui m’a gardée en transit même quand je l’eus quittée pendant dix longues années. »

Comme dit si bien Ansy Dérose : Pawol pale se gwo remèd, pawol chante chase lapen, vous trouverez à votre convenance ce que les mots imprimés représentent. En attendant, faisons face à ses déclarations.

Q. Madame Fawcett, la région des Cayes nous a légué Léon Dimanche, un des chanteurs de charme les plus influents de son temps. Émile Olivier, homme de Lettres de grosse pointure. Et tant d’autres artistes de mots et d’expression vocale. Est-ce cet héritage qui vous poursuit ou bien vous qui le poursuivez avec témérité ?

R. La ville des Cayes est poésie, du moins pour autant que je me souvienne. J’ignore si c’est moi qui ai choisi l’écriture ou si c’est elle qui m’a choisie mais sans elle, ma vie serait tellement différente.

Q. Plusieurs considèrent le cinéma comme un outil éducatif. Vous êtes enseignante de profession. Quel rapport faites-vous entre le 7ième art et l’enseignement ?

R. J’aime le côté ludique du théâtre et du cinéma. J’enseigne depuis plus de vingt-cinq ans et d’expérience je sais qu’on garde beaucoup plus longtemps les notions acquises dans le plaisir. J’utilise mes mots et gestes pour transmettre des leçons de vie.

Q. Voulez-vous nous parler de votre personnage dans le film DOUBLE VIE ?

R. Lorsque je fus approchée pour tenir ce rôle, je dois dire que j’ai été un peu réticente car d’habitude je suis derrière les rideaux. J’ai déjà campé deux ou trois personnages de second niveau dans d’autres productions et la charge morale du personnage de Man-Jo dans DOUBLE VIE me paraissait énorme au départ. Cependant, après avoir parcouru le manuscrit, je me suis dit que finalement, c’était une belle occasion de tenir mon propre rôle : la contradictoire.

Q. Que retenez-vous de cette expérience avec les autres acteurs ? Sont-ils des professionnels ou sont-ils à leur début ?

R. Honnêtement j’ai apprécié le travail d’équipe, j’aime être avec des jeunes, tout s’est déroulé dans le plus grand respect, j’étais comme la maman, vraiment, et dans le rôle et pendant le tournage, j’ai adoré. Les jeunes ont quelque fois un peu de mal à s’oublier pour épouser le rôle qu’ils doivent porter tel un liquide épouse la forme du vase qui la contient. C’est un peu ça l’apprentissage à faire dans ce métier. Les acteurs ont fait ce qu’ils ont pu mais sérieusement, je crois que pour certains il y a du potentiel à développer au niveau du jeu de scène, d’autres devront, s’ils veulent continuer dans cette voie, apprendre à se soumettre au professionnalisme du réalisateur.

Madeleine Bégon Fawcett alias Man-Jo dans le rôle d’une belle-mère soucieuse

Q. Vous avez dit que vous avez accepté le rôle parce qu’il allait à contre courant des stéréotypes réservés aux belles-mères. Craignez-vous de jouer les personnages de controverse ?

R. Dans notre culture, les belles-mères ont presque toujours le fardeau de la discorde. Bien au contraire, porter le message qu’on n’attend pas répondait à ce que je suis en réalité. Je suis une femme de contradiction, je nage souvent à contre-courant de la conformité et des codes. Ce défi me semblait amusant et j’ai accepté de le relever.

Q. Certains acteurs sont étiquetés pour la vie pour un rôle donné. Est-ce selon vous une opportunité d’explorer à fond un personnage ? Ou au contraire un risque inutile ?

R. On a déjà vu des acteurs prometteurs ruiner leur carrière par un rôle qu’ils ont porté et qui leur es resté dans la peau et dans l’imaginaire collectif. Nous avons de très beaux exemples : Alexis (Joane Collins) dans Dynastie ou plus près de nous, le comédien qui a joué Séraphin dans Les belles histoires des pays d’en-Haut. Je ne dirais pas que ce soit un risque inutile mais un risque tout court. Le grand défi du comédien sera alors de prouver au public qu’il est capable de quitter la peau de ce personnage pour en épouser un autre totalement différent. Moi je rêve de jouer le rôle d’une avocate par exemple, mais dans une cause impliquant une femme ou un enfant, je m’y vois car ce sont des causes qui me tiennent à cœur. Il reste à m’y rendre crédible !

Q. Vous accordez beaucoup d’importance à l’écriture féminine. Que représentent pour vous les mots au féminin ?

R. Les mots représentent tout ce qui nous a été interdit, confisqué, c’est la répression patriarcale-machiste séculaire, la faculté, le droit de dire qui ne nous ont été accordés que récemment, considérant que les femmes n’ont eu le droit de vote et été considérées comme des êtres humains que vers la fin des années 1950. Pouvoir écrire pour traduire les émotions et porter les revendications des femmes est un merveilleux, un pouvoir incommensurable acquis au bout d’une lutte qui reste encore à mener quand on sait que des femmes se font battre chaque jour et ont encore peur d’en parler.

Q. Il y a-t-il une possibilité quelconque que vous troquiez votre plume de dramaturge en faveur de l’écriture cinématographique ?

R. C’est un très beau projet en devenir, j’y travaille et j’y prends beaucoup de plaisir. Il reste encore tant de choses à dire. J’ai encore bien des questions auxquelles je voudrais trouver ne serait-ce qu’un embryon de réponse. Par exemple : Pourquoi sommes-nous inexistants dans l’histoire de vie de ce pays où nous sommes pourtant depuis 1630 ? Pourquoi le nom de Samuel de Champlain est partout et qu’aucun chemin de terre ne porte celui de Mathieu D’Acosta qui fut interprète entre Champlain et les Indiens Mic-Macs ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’inspecteur de police, d’enquêteur, de gérants d’entreprises ou de femmes politiques issus des minorités dans les télés séries québécoises ? Le Québec fut une terre esclavagiste, pourquoi alors il n’existe aucune trace dans son histoire du passage de ces noirs qui l’ont construit ? Autant de questions qui me tricotent les méninges et que j’aimerais porter à la réflexion collective par ma plume. Cinématographique ? Un jour, certainement.

Q. Votre introduction dans le monde du cinéma ne semble pas être animé d’un caprice. Vous parlez d’un gros projet. Quelles sont les grandes lignes de ces démarches collectives ?

R. Il existe selon moi deux Québec : Le Québec rêvé et le Québec réel. C’est ce dernier qui m’intéresse avec ses petites misères et ses petits bonheurs. Le Québec où les gens ordinaires se croisent, se mélangent, apprennent à se connaître dans le creux de la vague interculturelle, le Québec qui échappe à certains et que d’autres essayent d’appréhender, de découvrir, le Québec au ventre plus grand que les yeux, le Québec pluriel, fragile et forte à la fois par sa multiethnicité. J’aimerais pouvoir traduire en images ma vision de ce Québec qui dans 25 ans sera comme le jardin botanique. Vous savez Madame Domond, il existe autre chose dans ce pays que des Haïtiens paresseux et ou chauffeurs de taxis qui parlent petit-nègre, des jeunes noirs dealers de drogue ou membres de gangs de rues, des Latinos magouilleurs, des Africains faussaires, des Arabes terroriste et de chinois adoptés. Il existe bien d’autres choses, d’autres gens et une autre réalité dont il faut parler à un moment donné, la p’tite vie se passe aussi dans les autres communautés, et c’est ce que je me propose de faire savoir.

Q. Faut-il être un tant soit peu féministe pour être une femme de plume passionnée ?

R. L’écriture au féminin est le symbole même d’une revendication, toute femme qui écrit veut communiquer un brin de passion. La passion est au féminin. Je n’écris cependant pas forcément pour porter de revendication féministe car sincèrement je ne me sens pas vraiment l’âme d’une féministe radicale, j’aime être une femme, j’aime la femme que je suis qui ne ressent aucune infériorité par rapport à un homme, pour moi la différence n’est que sexuée comme le dis si bien Pascale Navarro. Je regarde avec des yeux d’être humain qui réclame la justice et l’équité quant au droit inaliénable de chacun à exister dans le respect.

Q. Vous connaissez sans doute madame Gladys Démosthène qui adapte très bien les pièces classiques. Elle crée également les siennes. Vos pièces à vous sont-elles strictement originales ?

R. Oui. En général, je m’inspire de faits vécus, des situations observées dans mon environnement, d’autres textes spécifiques me sont déposés dans la tête, je me contente alors de les transcrire.

Q. Combien de pièces de théâtre avez-vous à votre actif à ce jour mis à part celles qui sont connues du public ?

R. J’en ai au moins une quinzaine et quelques manuscrits dont certains à finaliser.

Q. Quel accueil ont-elles eu lors de leur représentation ?

R. Je crois que Parlons-en (Déblozay) et Le prix du sang ont laissé leurs traces dans la communauté. Depuis les années 88-90 où elles ont été présentées, il ne se passe pas une occasion où les gens ne me demandent : c’est pour quand la prochaine ? Je me suis fait un peu attendre, là je vais recommencer, pour mon plus grand plaisir et celui du public.

Q. Autre que l’injustice, l’amour quels sont les thèmes qui prédominent dans créations littéraires ?

R. Depuis quelque temps je me suis découvert un goût pour l’absurde, les humaineries, le ridicule sociétal, bref, nos incohérences quotidiennes. Je travaille présentement sur des sujets difficiles comme la maladie, la mort, la violence sur les enfants et les femmes, je suis aussi très inquiète de nos jeunes et de l’image qu’ils portent et je souhaiterais y changer quelque chose.

Q. En parlant d’expression langagière, dans quelle langue préférez-vous écrire : la langue de Molière ou votre langue identitaire qu’est le créole ?

R. J’utilise les deux selon le feeling du moment !!! Avez-vous lu Si m tap pale ? Alors, vous comprendrez que pour moi, c’est la nature qui décide de la muse. Je reste convaincue que certaines émotions ne se vivent et ne traduisent que par la langue maternelle !

Le personnage dans son expression joyeuse

Je vous remercie madame Fawcett.

Ce fut un plaisir, Madame.-




BÔ KAY NOU


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