Mise à jour le 18 décembre
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FADO de Kettly Mars - Un long poème sur la féminité bafouée

Fado est un roman complet. La trame tient la route et maintient le lecteur accroché jusqu’à la dernière page. A mi-chemin entre le discours psychanalytique sur la vie intérieure intense d’Anaise-Frida qui rappelle la technique théâtrale de la distanciation si chère à Brecht et un long poème sur la féminité bafouée et la vie des marginaux.

Texte proposé par Roody Edmé

Déjà le texte très visuel me rappelle une chorégraphie de Dayron Napoles executé par Lynda Francois et qui se déroule dans une maison close…ou l’opéra Carmen. La même force émane de ces femmes tour à tour dominées et dominatrices. Et puis il y a Bony, cet aristo des bordels qui refuse de choir, de se rabaisser à transformer sa maison en hôtel de passe. Tout comme ces parrains de Sicile qui refusent de toucher à la drogue et qui se confinent à la « noblesse » des jeux et de la prostitution.

Et puis on n’échappe pas à cette interrogation sur la pesanteur des institutions, sur les dégâts du conformisme. Pourquoi le désir parait-il si fort hors normes ? Pourquoi la femme des fantasmes est rarement celle du couple ? Pourquoi l’homme est toujours potentiellement parti ?

Le roman ouvre une intéressante problématique sur la liberté au sein du couple, sur le droit à la fantaisie et à la découverte infinie des fantasmes de l’autre. Elle est devenue la maîtresse de son mari pour la conquérir et elle a fait la « pute » pour son homme.

Les dogmes chrétiens qui ont colonisé le corps sont en partie responsables des perversions en tuant les fantasmes qui seront récupérés par l’industrie du sexe.

D’où vient que les hommes d’un certain âge sont tentés par l’aventure du « démon du midi »-comme la poussée d’acné chez les adolescents.

Peur inconsciente de la « mort virile » ? Esprit de conquête et de chasse enfoui au fond des âges ?

Les descriptions de la « rue des vandales », le bas-ville de ce Port-au-Prince qui a autant de corridors à histoire.

Rue des Fronts Forts « ki se lè gen dife ou konn konbien kokobe ki te genyen » dit un adage de chez nous ne pouvait pas être mieux choisi pour raconter la vie « dèyè do Dessalines ».

La métamorphose physique qui suit le drame intérieur du personnage procure au texte un souffle kafkaïen qui ne manque pas d’originalité, le drame de l’identité meurtrière chère à Amin Malouf est aussi traité au passage.

Il y a de ces passages qui sont d’excellents morceaux d’anthologie ,d’une rare poésie « les seins qui pleurent des larmes de lait », ce personnage qui a dû être femme dans une autre vie « tant il connaît les cris de mon corps », ou la goutte de sang de la lame de rasoir sur le pubis, suggérant comme dirait Baudelaire « la douleur qui fascine et le plaisir qui tue ».

Et puis ce personnage emblématique de l’empoisonneur est la trouvaille de l’histoire.

Baron ou Sénateur, Mèt Minui ou Dracula, cet empoisonneur illustre bien ce qu’est le roman : la fusion a des degrés divers d’une fiction et d’un mimésis.

Pascal Quignard a utilisé ces ficelles propre au romanesque pour écrire un roman « de sexe , de violence et de débat judiciaire, qui forme comme les mille et une nuits romaines ».

L’univers du roman n’est ni vrai ni faux, il est un ailleurs. N’empêche qu’il transporte nos fantasmes, nos chimères, nos drames d’insulaire par rapport à la mer. Depuis cette périlleuse traversée d’Afrique. Un peu comme Frida et la mer de port à l’écu qui l’a conduit fatalement au meurtre.

« L’œuvre, dit Blanchot, est œuvre seulement quand elle devient l’intimité ouverte de quelqu’un qui l’écrit et de quelqu’un qui le lit ».

C’est un pacte de solidarité entre le lecteur et l’écrivain comme le pense Sartre. C’est ce que j’ai découvert à travers le rythme entraînant d’une écriture qui transforme Frida tantôt en tragédienne grecque tantôt en Catherine Deneuve dans « Belle de jour ».

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