Par ordre de distinction, Cadleen Désir est la fille de Me Marie-Rhode Bois, une des rares femmes notaires de la communauté haïtienne. Une croisée de deux professions libérales mais indépendantes nous interpelle. Nous avons récemment découvert les plans d’action de la mère. Nous nous apprêtons à nous introduire dans la fréquence du protocole de sa descendante.
Si l’aide professionnelle de madame Désir est aussi efficace, pertinente, enrichissante et mature que l’élan exécutif des ses relations d’affaires, une fulgurante ascension de sa carrière en tant que psychopédagogue spécialisée ne saurait tardée. C’est avec un immense plaisir que la charmante jeune femme aux yeux de velours et son sourire rayonnant nous a livré ses commentaires.
Q. Madame Désir, je présume que votre action sociale est directement liée à votre orientation professionnelle, Voulez-vous procéder à une brève description de ce champ d’intérêt pour le bénéfice du grand public ?
R. Au moment où je poursuivais mon baccalauréat en psychologie, je travaillais déjà en milieu de garde. J’y ai alors découvert une passion pour la petite enfance. Après mes études en psychologie, je savais je ne voulais pas continuer dans ce domaine mais que je voulais toutefois me spécialiser en petite enfance. La reconnaissance professionnelle étant primordiale pour moi, je me suis lancé un défi. Tout en spécialisant mes études de maîtrise en psychopédagogie, j’ai fait partie d’un groupe de recherche en intervention éducative précoce. Entre temps, j’ai été chargé de cours en psychologie à l’Université de Montréal pour le cours de psychologie de la femme. Ce fût une occasion de débattre le sujet en profondeur. Ces diverses expériences m’ont solidifiées dans mon défi de créer une profession en petite enfance qui serait dotée de reconnaissance professionnelle et d’équité envers la femme. Après un bref séjour dans une entreprise pour laquelle je n’adhérais pas aux valeurs, j’ai pris un temps de réflexion sur ma carrière. Quand j’ai su que j’étais enceinte, je me suis résolue à relever mon défi et à démarrer ma propre entreprise. À présent, je peux dire que je suis pleinement dans mon élément.
Q. Cibler la catégorie ou le groupe d’âge de 0 à 5 ans est-ce pour vous une façon de mettre en évidence un sens d’application qui vise un objectif de globalisation à long terme ?
R. La raison est simple. Ma spécialisation est la petite enfance. J’aime travailler dans le circuit de la petite enfance parce que les résultats sont rapides et palpables. Les enfants sont comme des éponges. On peut facilement constater leur progression. De plus, poser les bases d’apprentissage, c’est s’assurer de donner de bons nutriments à la racine d’une vie. C’est donné des outils de départ qui aideront à favoriser l’estime de soi de ces petits êtres et c’est un des gestes les plus gratifiant en mon sens. Les bienfaits de travailler avec la petite enfance sont rapides mais aussi présents à long terme au niveau personnel, social et économique. Quand les lacunes s’accumulent jusqu’à l’âge adulte, c’est beaucoup plus difficile de s’en débarrasser et cela coûte plus cher à la société. Rattraper tout de suite les défaillances est un facteur qui peut certainement prévenir le décrochage en maintenant la motivation.
Q. Santé et bien-être sont vos préoccupations dans votre champ d’action parmi tant d’autres causes. Pourquoi ?
R Il ne faut pas oublier que le domaine de la petite enfance est très lié à la cause féminine. Le pourcentage des hommes qui font leur carrière dans ce champ d’activité est en tout cas inférieur à celui de la femme. C’est plus délicat pour un homme. Le centre nerveux de ma démarche se situe justement dans ce contexte. L’apport professionnel de beaucoup de femmes en petite enfance est souvent réduit au niveau d’éducatrice et même elles, ne jouissent pas de la reconnaissance qu’elles méritent. On les appelle à tort « des gardiennes ». Alors que la plupart du temps, leur formation est reconnue et spécialisé. C’est pour cela que je ne perds pas de vue le souci de la reconnaissance professionnelle, de l’équité salariale dans ce domaine de femme. Déclic est formé d’une équipe de psychopédagogues qui osent pénétrer dans le milieu vie des enfants d’âge préscolaire. C’est important que les gens soient conscients que les filles peuvent faire carrière dans le domaine tout en restant en contact quotidien auprès des enfants.
Q.Voulez-vous nous parler de l’éventail des intervenants que vous disposez en faveur du développement des jeunes. Car c’est de cela qu’il s’agit principalement ?
R Nous formons une équipe de quinze (15) intervenants. Il y a des psychoéducatrices, des psychopédagogues, des éducatrices spécialisées et des intervenantes en petite enfance. Nous faisons face à une grande demande qui résulte à une liste d’attente substantielle. En seulement une année d’existence, l’entreprise a apporté son soutient à quarante (40) milieux de garde, soixante-dix (70) enfants et accompagné près de cent vingt-cinq (125) familles. J’aimerais intégrer dans l’équipe des haïtiennes. Car il ne faut pas se le cacher, pour la plupart des membres de notre communauté le sujet des enfants en difficulté demeure tabou. Surtout qu’on est déjà étiqueté. C’est compréhensible qu’ils aient peur de se confier. Conséquemment, il faut les aider, les conscientiser, les réveiller à ce sujet.
Une équipe en folie !
La directrice de Déclic accompagnée de ses collaboratrices
Première rangée : Julie Tremblay, Amélie Beauchesne, Stéphanie Charest Deuxième rangée : Isabelle Dubois, Cadleen Désir, Andréanne Bérubé, Chantal Ménard, Véronique Plante Payant, Catherine Gagné, Rachel Bilodeau
Derrière : Anick Bayard
Absentes : Marie-Pier Marquis Lauzier, Barbara Bedkowska et Anne-Sophie Van Nieuwenhuyse
Photo d’Émilie Champagne
Q. D’après vous, la population est-elle pleinement consciente du soutien de cette stratégie de développement que vous favorisez ? Si oui, comment selon vous, se manifeste cette conscientisation ?
R Si la demande est de plus en plus accrue, c’est que les gens sont progressivement plus conscients de l’offre. N’empêche pas que les intervenants doivent continuer à conscientiser les éducatrices et les parents à l’importance du dépistage.
Q. C’est facile de concevoir que vous attaquez la problématique avec une force vive. Mais quand le moyen financier fait défaut aux citoyens, il a des répercussions sur tout le reste. Avez-vous pensé à cet obstacle majeur qui veut que le développement personnel soit directement lié au développement social ?
R Entant que personne spécialisée dans ce genre de ressource, je peux vous dire que le chemin qui conduit à une aide aux enfants vulnérables est de plus en plus simple. Le Ministère de la Famille et des Aînés contribue à favoriser l’aide apporté à ces enfants. Il existe donc un programme l’ « allocation pour l’intégration de l’enfant handicapé » pour les enfants qui fréquentent une garderie en milieu familial, une garderie privée ou un centre de petite enfance. Le milieu de garde reçoit donc un certain montant pour venir en aide à l’enfant qui a un retard de développement reconnu par un professionnel de la santé. Déclic se déplace en fonction de la subvention allouée. Le parent n’a donc pas un seul sous à débourser.
Q. La clientèle potentielle se situe t-elle en grande majorité dans la catégorie des familles monoparentales touchées par l’isolement, l’exclusion, la pauvreté ou rejoint-elle un horizon plus large ?
R La clientèle est franchement très large. Le problème ne touche pas uniquement les gens de couleur, une catégorie de classe sociale. On peut retrouver des personnes fortunées, très scolarisées et des gens mal nantis, défavorisés, peu scolarisé et mêmes analphabètes. Il est clair que les parents défavorisés ou qui ont peu de scolarité sont souvent moins outillés pour cibler les difficultés de leurs enfants. Par ricochet, ils ont moins de capacités à stimuler adéquatement leurs enfants. Mais il est important de comprendre que ce n’est un seul facteur en particulier qui cause des problèmes de sous-stimulation mais un mélange de facteurs. Il y a un effet de comorbidité qui joue un rôle important dans la vulnérabilité de certains enfants.
Q. Pour avoir recours à vos services, il faut une certaine forme de dépistages des troubles précoces. Quels sont les signes avant-coureurs ?
R Avant de répondre à la question, j’aimerais préciser qu’un trouble ou un retard de développement ne se diagnostiquent pas à tort et à travers. Seulement certains professionnels de la santé peuvent poser des diagnostiques. Toutefois, avant d’émettre un diagnostique, il faut un dépistage. Bien souvent, c’est la cloche qui fait prendre conscience au parent que l’enfant devrait peut-être être suivi par un spécialiste. Le sujet de dépistage est particulièrement délicat. Tous les éducateurs ne sont pas nécessairement formés pour le dépistage. Et lorsqu’ils le sont, cela ne veut pas dire qu’ils savent comment partager leur doute aux parents. Ce n’est pas une tâche facile et je conseille toujours aux éducatrices et aux intervenantes de se baser sur des faits observés pour éviter les chances de DÉNI de la part du parent. – Qu’est-ce qu’un déni madame Désir ? Le déni est un état de protection dans lequel une personne se retrouve face à une réalité et que durant une période, pour se protéger psychologiquement, elle refuse d’accepter la situation telle qu’elle se présente. Soit dit en passant, tous les parents connaissent un jour ou l’autre un état de déni petit ou grand. Pour en revenir à l’adresse ou pas d’un éducateur à communiquer le rapport de leur analyse vis-à-vis d’un enfant en difficulté, il y a des formations qui sont disponibles pour les parents et les éducateurs. Le CLSC est aussi une excellente ressource pour tous ceux qui se questionnent sur le dépistage. Il s’agit de fournir des outils et balises aux personnes intéressées.
Q. Lorsqu’on parle de troubles précoces s’agit-il nécessairement d’une déficience ou une détresse psychologique quelconque ?
R Il faut bien faire la distinction entre retard et trouble. Un retard et un développement plus lent et les atteintes d’apprentissage sont homogènes. Lorsqu’il y a retard, la stimulation permet de récupérer avant l’entrée scolaire et les progrès sont rapides. Lorsqu’on parle de trouble, on parle d’un développement plus lent et atypique. Les atteintes d’apprentissage sont variables. Un trouble est persistant et la stimulation permet une évolution mais plus lente. Les retards et les troubles peuvent toucher n’importe quelle sphère de développement chez un enfant. Cela peut être au niveau moteur, langagier, social, cognitif ou physique. Chez Déclic, c’est le développement global qui préconise. Même si un enfant à un retard dans une sphère particulière, tout en mettant l’accent sur celle-ci, nous allons faire de la stimulation globale. Nous visons la sollicitation de toutes les sphères de développement en allant chercher les forces de l’une pour aider à atteindre les objectifs d’une autre. Nous misons sur les forces de l’enfant pour mieux relever ses défis. À titre d’exemple, un enfant qui accuse un retard de langage et qui se développe bien au niveau moteur. Nous allons favoriser sans doute ses habiletés motrices pour le motiver à l’acquisition des sons.
Q. Jusqu’où s’étend le territoire que vous couvrez ?
R Notre siège social se situe à Montréal dans St-Michel. Pour le moment, nos activités se concentrent donc sur tout le territoire de Montréal, Laval et Vaudreuil-Dorion. Bien que nous ayons déjà une longue liste d’attente, nous n’avons pas de limite. Advenant que la demande dépasserait les limites que nous desservons présentement, il y aurait la possibilité de créer d’autres succursales. À ce moment, je pourrais déléguer les membres qui sont à Montréal et j’irai moi-même opérer ailleurs.
Q. Croyez-vous que la condition de vie d’une population peut-elle s’améliorer sans le support économique viable des autorités en place ?
R. Il y a des besoins criant en petite enfance. Nous sommes constamment à l’affût de subvention pour les mêmes raisons d’équité salariale et autres considérations mentionnées plus haut. Mais surtout pour pouvoir maintenir des services de qualité. Et pour offrir des services adéquats, il faut être à jour par rapport aux nouvelles recherches. La formation continue coûte cher mais est essentielle chez Déclic.
– Combien de temps dure environ une intervention auprès d’un enfant en difficulté ? Et quel est le coût d’un tel honoraire ? – Chaque cas est unique. Cela dépend de sa complexité. En ce qui concerne le coût, c’est le temps qui détermine l’indice économique. Il est certain que si la durée est plus courte, le coût de l’intervention sera moindre. Habituellement avec l’allocation que les milieux de garde reçoivent, nous pouvons nous déplacer pour deux séances d’une heure trente. Cela totalise trois heures de stimulation par semaine. Il y a aussi possibilité d’accompagnement pour un enfant qui a besoin d’un support de plus longue durée.
Q. Vous assurez la commande d’une jeune entreprise qui s’emble marquée d’un sceau de maturité. Comptez-vous vous imposez ? Et de quelle manière ?
R. Par la force de notre spécialisation et de notre formation, nous nous démarquons. Notre but n’est surtout pas d’être en compétition avec les autres organismes qui offrent des services divers en petite enfance. Au contraire, nous prônons le partenariat. Notre mission est celle d’une complémentarité en vue de réduire les retards de développement en petite enfance. Il y a tant de besoins que Déclic mise sur la qualité plutôt que la quantité. Ce qui nous diffère, c’est notre service d’intervention directe en milieu de garde, notre service d’accompagnement des parents, la formation personnalisée et le coaching.
Q. Nourrissez-vous une devise particulière de l’entrepreneurship des jeunes de la communauté haïtienne ?
R. Déclic est une appellation qui dissimule de multiples interprétations. Notre slogan « Petit déclic va loin », porte les idées de « petit train va loin », d’où les nombreux petits pas qui figurent sur le logo. On peut tout aussi bien le concevoir dans le sens d’un déclenchement soudain d’une idée qui nous aide à avancer. Bref, il y a énormément de signification derrière le mot Déclic et notre slogan. En septembre 2006, j’ai débuté l’entreprise dans mon sous-sol. Un an et demi plus tard, nous formons déjà une équipe de quinze spécialistes. Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. En mon sens, petit déclic va loin…
Q. Vous venez tout juste de participer à la première édition du gala d’excellence de la Jeune Chambre de commerce haïtienne. Que retenez-vous essentiellement de cette expérience ?
R J’ai vécu une belle expérience. Être finaliste est pour moi un beau défi et une belle reconnaissance. La cérémonie était impeccable à plusieurs nivaux. Ce déploiement d’énergie est à l’honneur des organisateurs.
Jeune mère épanouie d’un nourrisson de onze mois prénommé Camuel Désir-Côté
Q. L’événement est à ses premiers pas. Il lui faut sans doute une période d’adaptation pour améliorer le concept de son savoir faire Que recommanderiez-vous tant à titre organisationnel que politique au sein de l’équipe dirigeante ?
R. Je dois souligner la présence peu nombreuse des médias. Je trouve cela dommage qu’un si bel événement attire si peu d’engouement. Je leur souhaite également plus de partenaires pour qu’à l’avenir l’organisme puisse continuer à porter fièrement son nom.
Q. Une dernière question entre parenthèse madame Désir. C’est très stimulant de vous entendre parler de RÊVE EN COMMUN. Le 8 mars s’approche à pas de géant. C’est la date de la reconnaissance de la femme uniquement sur le plan international. Êtes-vous d’avis qu’il y a lieu de réclamer UNE SEMAINE MONDIALE DE LA FEMME ? D’après vous, les femmes de votre génération sont-elles en mode de lutte ou en état d’application de leurs revendications ?
R À mon avis, la femme vit les deux en même temps. Elle en a gagné des causes. À titre d’exemple, le droit de vote, l’avortement, l’équité salariale. Quand à la charge de l’éducation, elle est en mode d’adaptation. La femme a maintenant de plus en plus de place sur le marché du travail mais conserve la charge de l’éducation familiale. La conciliation travail-famille est un nouveau défi pour elle et cela se résume souvent par le syndrome surperwoman. Et le fait qu’elle s’est fixée trop d’exigence la place dans une situation chaotique. La femme essaie maintenant d’être à la hauteur de ce qu’elle a revendiqué. Elle s’est mise beaucoup de pression et se retrouve face à des situations autant négatives que positives dépendamment du succès de ses actions ou du contexte de ses échecs.
– Serait-ce pratique de réclamer une semaine mondiale de la femme ?
Je vous retourne la question car je pense que ce ne sont pas toutes les femmes de tous les pays qui jouissent systématiquement des mêmes droits. Dans certains pays, la condition féminine est encore au stade de l’aliénation. Et les autorités en place éclateraient probablement de rire devant une telle requête…
Je vous remercie infiniment madame Désir.
Tout le plaisir est pour moi madame Domond !