Un ouvrage bien présenté, facile à lire, en dépit du travail intense de recherche que l’on devine sous-jacent et qui se révèle progressivement au lecteur à travers les multiples tableaux décrivant une économie cubaine dominée par le capital nord-américain et à bout de souffle.
C’est vrai que selon un crédo de l’époque, il fallait rendre la philosophie et les sciences accessibles à un plus grand nombre et lutter contre le monopole d’un savoir abscond qui servait de culture de distinction à des minorités dominantes.
Il n’y a pas de doute, l’analyse part d’un parti pris militant pour une révolution de jeunes barbus idéalistes qui nourrissaient pour leur peuple les plus grands desseins. D’une précision chirurgicale, l’étude sérieuse mais enthousiaste du professeur rejoint cette passion pour le mouvement du 26 juillet qui a embarqué dans la même célébration d’une grande utopie des intellectuels comme Sartre, Debray et Claude Julien.
En reportage spécial à la Havane, l’éditorialiste du monde avait suivi la longue équipée des révolutionnaires de la Sierra et tenait sa chronique comme un journal de campagne.
Le 10 janvier 1959, Claude Julien semblant donner à priori raison à Pierre-Charles écrivait ceci : « Le fidélisme représente, dans le cadre politique général, le romantisme révolutionnaire mais, surtout, le seul espoir des gueux de la terre. Paysans sans travail pendant le tiempo muerto, ce temps mort entre les récoltes de canne à sucre qui s’étale sur plus de la moitié de l’année, maladies chroniques chez les enfants, mépris des grands propriétaires terriens...Douze hommes en décembre 1956, deux cents en février suivant, cinq mille en décembre 1957, quinze mille en Novembre 1958, jamais vague révolutionnaire n’a été en Amérique Latine plus profonde, plus puissante, plus rapide. »
Pierre-Charles écrivait quelques années plus tard comme pour répondre à Claude Julien : « Si l’événement cubain fut si capital, il y a lieu de se demander pourquoi un fait historique d’une telle ampleur est survenu dans cette île, qui faisait alors parti de ce monde absolument dépourvu d’initiative dans les affaires mondiales ? » et de s’interroger tout au long de l’ouvrage sur les facteurs qui concourent à cet événement.
Il ne faut pas oublier que ces années-là, alors que les républiques socialistes de l’Europe de l’Est gelaient inexorablement dans le glacis soviétique, en Amérique Latine, de jeunes guatémaltèques ou salvadorègnes se faisaient assassiner avec dissimulés sous la chemise un livre de Lénine.
La sale guerre au nom de la raison d’Etat ne faisait pas de quartier. Et si pour les grandes puissances il s’agissait de lutte d’influence, pour des millions de desperados c’était une question de survie et de société plus « juste » à bâtir.
Le sous-continent appauvri était un terreau de choix pour un socialisme de type nouveau enraciné dans les masses populaires loin des avatars du socialisme de circonstance qui s’imposa dans certains pays au lendemain de la seconde guerre mondiale.
L’universitaire haïtien, chercheur à l’Université autonome de Mexico, interdit d’enseigner dans son pays, se livra avec détermination et passion à l’étude des transformations de la formation sociale cubaine depuis la chute de la maison Batista jusqu’à la transition fulgurante vers le socialisme.
Quelques décennies plus tard, la révolution a vieillie avec ses leaders qui ont maintenu dans le formol de la révolution permanente un système politique figé à la recherche d’un second souffle.
Genèse de La Révolution Cubaine est un livre à caractère historique à lire dans le contexte d’une époque mais qui garde une fraîcheur analytique et une rigueur certaine.
Cet ouvrage est un excellent document à mettre dans les rayons de nos universités en témoignage à une icône des sciences sociales haïtiennes et pour l’édification de nos jeunes chercheurs.
Il faut se résigner a écrit un jour Hervé Bazin « à n’avoir qu’une pensée d’homme et à mesurer l’univers avec ce millimètre ».