Mise à jour le 26 septembre
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L’interprétation des signes et symboles sacrés pour mieux pénétrer les musiques du monde

Un entretien réalisé avec Monique Desroches, Professeure d’ethnomusicologie à la Faculté de musique et directrice du Laboratoire de recherche sur les musiques du monde,Université de Montréal

par Marie Flore Domond

Tourner résolument les yeux vers un membre de la « communauté académique », surtout quand les circonstances le favorisent, n’est pas nécessairement un casse-tête. Ce rapprochement comporte de nombreux avantages, notamment celui de convertir notre vision profane, superficielle en échange d’une perspective nettement plus fondamentale. Il convient également de dépasser les limites pitoyables de nos préjugés en faisant face à un éclairage universel. Conséquemment, cette étape crée une rupture de notre communication à l’aveugle.

Ne sommes-nous pas tous infiniment redevables aux inventeurs, chercheurs, enseignants, éducateurs, ces créateurs de tous domaines comme madame Monique Desroches ! La dense vulgarisation de leurs études et découvertes ne nous dicte-t-elle pas, en tant que civilisation, société, population et génération, de nous appliquer à certains modèles propices à notre évolution collective, notre adaptation personnelle, notre émancipation ?

Puisque, d’une part, le fruit des œuvres de madame Desroches nous révèle que la musique est sa discipline d’expertise et, d’autre part, le champ des musiques du monde semble vaste et complexe à décoder malgré notre réel intérêt en cette matière, nous l’invitons à nous organiser son raisonnement ou, de préférence, nous définir sa perception vis-à-vis du concept précité en guise de présentation dans un premier temps.

Dans un second temps, de nous parler de façon globale de ses observations des musiques antillaises et, finalement, de nous indiquer, si possible, les composantes sacrées de la musique haïtiano-créole.

Il est à noter qu’entre son expertise et ses savoirs professionnels dans le domaine musical (M.A. et Ph.D.), madame Desroches s’est prémunie d’une solide formation en Sciences humaines (Bacc ès Arts). Cette disposition complémentaire est à même d’indiquer la dimension de l’équilibre psycho-sociale à laquelle elle voulait se souscrire.

par Jean Benoist, Monique Desroches, Gerry L’Étang, Gilbert Francis Ponaman, Éditions Ibis Rouge

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Q. Professeure Desroches, pour le bénéfice des lecteurs, en quoi consiste votre fonction de directrice du Laboratoire de recherche sur les musiques du monde ?

R. Ma fonction peut se diviser en deux grands volets : un premier concerne la direction scientifique du Laboratoire (LRMM) et un deuxième renvoie à la recherche de financement de recherche pour ce secteur d’activité à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. La première est, vous vous en douterez, la plus intéressante. Mais elle ne pourrait prendre vie sans la seconde. La direction scientifique comprend l’identification des thèmes prioritaires de recherche, la programmation des activités de rayonnement, les liens avec d’autres organismes de recherche et d’enseignement dans le domaine, le pont avec la direction de la Faculté et du vice-rectorat à la recherche, la visibilité du Laboratoire. J’ai cru nécessaire de mettre sur pied (en 1995) ce dernier d’abord pour les étudiants et étudiantes en ethnomusicologie, afin de créer une forme de synergie entre eux et les membres du corps professoral intéressés par l ‘étude des musiques du monde.

Quatre éléments sont au cœur du LRMM :

• Une programmation de recherche alimentée par des projets élaborés par des professeurs et chercheurs du Laboratoire.

• Un centre spécialisé de documentation sur les musiques du monde. Plus de 1000 titres sont répertoriés et on peut consulter la liste de ces documents par internet via notre site :(www.lrmm.musique.umontreal.ca)

• Une collection d’instruments de musique du monde (composée essentiellement de dons). La collection sert principalement à l’enseignement de l’organologie et au rayonnement du secteur par le truchement d’expositions publiques temporaires. Les étudiants contribuent de façon significative au montage de ces expositions, une démarche qui d’ailleurs leur plaît énormément. C’est toujours formateur de pouvoir se tremper les mains dans un projet précis et les expositions leur permettent de mettre à l’épreuve leur capacité de recherche, leur talent d’écritures et leur sens artistique lors de la réalisation des panneaux d’expositions et du montage des vitrines d’exposition.

• Une station multimédia et un site internent grâce auxquels nous pouvons réaliser nos cédéroms et maintenir un forum de discussion en ligne.

Quant à la « gestion » de l’unité, elle comprend principalement la recherche de financement pour les infrastructures de recherche et celle pour le fonctionnement interne du Laboratoire.

Q. Vos recherches sont centrées à des points géographiques bien précis, entre autres, La Guadeloupe et La Martinique. Étant donné qu’Haïti est regroupée parmi ces Antilles françaises qui ont sensiblement le même passé colonial, est-ce que vos observations sont applicables à ce coin de terre ? Existe-t-il seulement des variantes ou des différences fondamentales de leur histoire musicale ? Si oui, en fonction de quoi ?

Mes lieux d’ancrage de recherche sont plus exactement la Martinique et la Réunion dans l’océan Indien. Si, dans un premier temps j’ai été interpellée par les musiques « créoles » de ces îles, c’est-à-dire par les rencontres culturelles si caractéristiques et si intéressantes de ces îles, ce sont les musiques importées de l’Inde au X1Xe siècle qui ont retenu par la suite, mon attention. Vous me parliez d’Haïti dans votre question. Si Haïti présente bon nombre de points communs avec la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion au niveau des musiques dites créoles, elle s’en éloigne sur quelques points. Un premier émane du fait qu’elle a obtenu son indépendance au début du X1Xe siècle, alors que les trois autres îles (autrefois colonies françaises) sont désormais des Départements français d’outre-mer (DOM). Un deuxième point réside dans l’histoire coloniale des îles. Car, contrairement aux trois départements français, Haïti était déjà indépendante : elle avait choisi d’être maître de son destin. Il en est différemment des Antilles françaises et de la Réunion qui sont toujours demeurés français. Aussi, à l’abolition de l’esclavage en 1848, les esclaves alors libérés ont fui massivement les plantations. Les grands planteurs ont dû faire face à une pénurie subite de main-d’oeuvre, C’est alors que les trois DOM mentionnés précédemment durent recruter une main d’œuvre importante d’« engagés sous contrat » ; celle-ci provenait en grande partie du sud de l’Inde, région où la France possédait notamment des comptoirs d’échanges. C’est donc en vue de maintenir le système économique en place dans les îles que les planteurs se sont tournés vers la Métropole pour recruter ces engagés indiens. Leur présence est venue dynamiser de façon particulière le paysage culturel de ces îles.

Éditions L’Harmattan, Paris, 1996, 180 pages.

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Q. En parcourant un de vos entretiens, j’ai noté plusieurs éléments de vos déclarations dont le paragraphe suivant qui m’interpelle. Si votre démarche n’est pas linéaire, qu’en est-il de vos méthodes de recherches. À ce propos, peut-on parler carrément d’études transversales en guise d’observations longitudinales ?

« Ma démarche est guidée par une conception dynamique de la recherche, c’est-à-dire, qu’elle est marquée par un va-et-vient incessant entre les niveaux musical, religieux, social et culturel, entre également les moments de collecte et les étapes d’analyse. La démarche est loin d’être linéaire. À travers la lorgnette ethnomusicologique, la musique n’est pas vue comme un simple produit artistique ; elle est pour moi porteuse de valeurs, de symboles, de fonctions propres à un individu, à un groupe donné, la pratique musicale et devient de ce fait une porte d’entrée exceptionnelle pour décoder le social... »

R. Dans cette optique, vous avez tout à fait raison quand vous parlez d’études transversales car c’est vraiment ainsi qu’il faut, selon moi, concevoir les recherches en ethnomusicologie.

Q. Selon vous, la musique rituelle a-t-elle un milieu plus propice : l’espace urbain ou rural ?

R. Les deux sont propices. Ce sont plutôt les modalités d’expression stylistiques qui changent selon le contexte.

Q. On constate que le pluralisme de la musique populaire des Antilles Françaises demeure impuissant au sein de la société d’accueil. Le compas particulièrement ne dépasse pas le cadre de la radio communautaire. En raison de quelle lacune selon vous ? Dans ce contexte, quel rôle la musique joue- t-elle entre les peuples puisque, dit-on, « la musique est sans frontière » ?

R. Permettez-moi de diverger ici d’opinion avec vous. J’ai eu la chance de vivre aux Antilles françaises entre les années 1978 et 1985 et je puis vous assurer que la « cadence » et le compas y régnaient alors en maître. Au sujet de la cadence, je parlais d’ailleurs à cette époque, d’un réel « ouragan musical » aux Antilles françaises, car la popularité de cette musique haïtienne était telle que la musiciens locaux n’interprétaient pratiquement plus de la biguine, le gwo-ka ou la mazurka (genres traditionnels), au profit de cette musique très prisée par les Antillais. Cette popularité antillaise de la cadence et compas montre bien que les deux genres peuvent chacun, traverser leur frontière insulaire. À mon avis, la moindre popularité du compas actuel peut résider davantage dans un fait de mode, qu’autre chose.

Q. Une éducation musicale convenable peut assurer la formation du caractère’’, disait Platon. Comme professeur, partagez-vous cette idéologie ?

R. Il est bien évident que l’apprentissage de toute musique suppose de la discipline, de la volonté et de la détermination, À ce chapitre, toute musique participe à la formation du caractère, pour reprendre votre expression. Mais fort heureusement, la musique ne sert pas qu’à cela. Elle permet aussi de mettre en exergue les talents individuels, la créativité, l’harmonie, bref tout un espace qui facilite sûrement les échanges et adoucit les mœurs, comme le dit l’adage.

Q. Les musiques Antillaises, obtiendront-elles un jour leurs lettres de noblesse dans la grande famille musicale ?

R. Je l’espère grandement. Certains genres sont déjà reconnus d’ailleurs. Je pense ici au calypso, au zouk, au meringue et à la salsa. Le jazz (qui emprunte d’ailleurs souvent les parcours des musiques antillaises - la salsa en est un exemple -) autrefois considéré comme une musique inférieure est aujourd’hui enseigné dans les plus grands conservatoires et dans de nombreuses facultés de musique. Il vous suffit aussi de jeter un coup d’œil chez les disquaires pour voir l’importance du rayon « Musiques du monde » ou celui de « World Music ». Cette montée en flèche de la demande de ces musiques, conjuguée aux talents musicaux des artistes vont sûrement contribuer à re-positionner les musiques antillaises dans le vaste champ des musiques occidentales.

Q. La musique de la nouvelle génération, comme le « rap » par exemple, rentre-t-elle dans la tradition musicale en tant que continuité ou représente- t-elle une démarcation ? Si oui, risque-t-elle d’être classée en tant qu’élément de « sous culture » avec le temps ?

R. Le rap se situe pour moi dans le prolongement de la grande tradition africaine, surtout par l’importance accordée au Verbe, au message, à la place de l’individu et à la créativité. L’étiquette « sous-culture » lui est aussi accordée en raison de l’élément de contestation sociale et politique qui en constitue le cœur.

Q. À travers vos nombreuses observations, avez-vous remarqué si la femme était mieux prédisposée que l’homme pour être pratiquante de la musique rituelle ?

R. J’ai connu de grandes prêtresses à la Réunion et à Madagascar. Si la femme est souvent écartée des musiques rituelles, c’est en raison du pouvoir de ces musiques sur les Hommes. L’absence des femmes dans ce domaine ne relève pas d’un manque de talent, compétence ou de prédisposition dans ce domaine, mais relève plutôt du partage des rôles et des fonctions au sein des groupes sociaux. Ce sont des décisions culturelles, des choix arbitraires, que je respecte par ailleurs, mais qui ne relèvent pas de « l’inné » associé au genre féminin, mais plutôt du culturel, du sélectif, du consensus, bref, de l’acquis.

Je suis tout à fait d’accord avec vous. C’est souvent en raison de tabous ou de coutumes à caractère culturel et social qui empêchent les femmes d’un groupe à pénétrer certains domaines du musical ou du religieux. Ce n’est nullement en raison de leur incompétence.

Q. De la musique avant toutes choses, disait Verlaine. Sur quel raisonnement a-t-il fondé son idéal ?

R. Peut-être pensait-il au potentiel d’harmonie entre les peuples, dimension importante de la musique que nous avons abordée antérieurement dans cette entrevue. Après tout, « une image vaut mille mots » ; on pourra en dire autant de la musique !

Professeur Desroches, nous vous remercions de nous avoir consacré un peu de votre précieux temps.

Ce fut un réel plaisir !




BÔ KAY NOU


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