Mise à jour le 18 décembre
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Haïti sous haute surveillance

Quatre sujets ont dominé l’actualité en Haïti cette semaine : la nomination de Bill Clinton comme envoyé spécial de l’Organisation des Nations Unies (Onu), le message du 18 mai du président René Préval, les intempéries et le salaire minimum qui continue à faire des vagues. Le 19 mai écoulé, l’ancien président américain William Jefferson Clinton a été nommé envoyé spécial des Nations Unies pour Haïti, a annoncé Michèle Montas.

Par Nancy Roc

Selon la porte-parole du Secrétaire général de l’Onu, Clinton aura pour mission « d’appuyer les efforts des autorités haïtiennes visant un développement économique et social durable, de sensibiliser les donateurs à l’extérieur » à honorer leurs promesses envers Haïti et de « promouvoir le renforcement des capacités locales et la création d’un avenir meilleur » pour notre pays.

Pour éviter tout malentendu, elle a tenu à souligner que la mission de l’ancien président américain n’a rien à voir avec le mandat de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah). Un communiqué des Nations Unies, daté du 18 mai 2009, indique qu’en apprenant la nouvelle de sa nomination comme émissaire de l’Onu pour Haïti, Clinton a déclaré que « le bilan des catastrophes naturelles survenues l’année dernière est lourd mais le gouvernement et le peuple haïtien ont la détermination et la capacité de « mieux reconstruire » non seulement en vue de réparer les dégâts subis mais de jeter les bases du développement durable auquel ils aspirent depuis si longtemps » [1] Clinton au gouvernail

L’annonce de cette nomination crée une nouvelle donne politique en Haïti : la reprise en main du dossier haïtien par Washington, via l’Onu. Cette nomination consacre l’éviction des Latino-Américains et représente la réponse de l’administration Obama à l’impuissance et à l’irresponsabilité des dirigeants haïtiens, concrétisant du même coup la déclaration faite par Ban Ki Moon le 10 mars dernier, lors d’une visite de 24h en Haïti avec Clinton. Cette visite s’inscrivait dans le cadre des préparatifs nécessaires à la mise en œuvre du rapport de Paul Collier, rédigé à la demande du Secrétaire général de l’Onu.

Avec cette nomination, Haïti a un nouveau patron, même si son salaire annuel ne sera que d’un dollar ! Ainsi, Heidi Annabi et René Garcia Préval sont relégués au second plan et devront exécuter à la lettre les instructions de leur supérieur hiérarchique.

Au-delà de la nomination de Clinton

Vingt quatre heures avant la nomination de Clinton comme nouvel émissaire des Nations unies pour Haïti, une dépêche de l’agence Associated Press annonçait l’événement en soulignant « Bill Clinton est populaire chez nombre d’habitants d’Haïti, pour avoir brandi la menace d’une action militaire quand il était président en 1994 pour permettre la fin de la dictature et rétablir le président élu Jean-Bertrand Aristide au pouvoir ».

Faisons le point sur cette question : la popularité de Clinton en Haïti a été sérieusement érodée au cours des dernières années, principalement pour deux raisons :

• la première est que nombreux sont les Haïtiens qui n’ont pas pardonné à Clinton d’avoir rétabli Aristide dans ses fonctions et, surtout, d’avoir renforcé l’embargo décrété par l’Organisation des Etats américains (Oea) et l’Onu contre le pays et dont le bilan, notamment sur la santé des enfants, n’a jamais été dressé. Personne n’a oublié non plus la fermeture unilatérale des comptes bancaires détenus aux États-Unis d’Amérique par des milliers de simples citoyens haïtiens qui n’étaient mêlés ni de près ni de loin au coup d’État de 1991 ;

• la seconde relève du désenchantement régnant dans le camp de La Fanmi Lavalas. En effet, alors même que les partisans d’Aristide faisaient croire que la venue de Clinton faciliterait le retour de leur chef, l’ex-président américain avait déclaré à Cité Soleil qu’il fallait regarder vers l’avenir. Pour Clinton, la page d’Aristide était donc clairement tournée. Cette volte-face n’a certainement pas plu aux lavalassiens. D’autre part, ceux qui pensent encore que la nomination de Clinton pourrait avantager le retour d’Aristide ne comprennent rien à la politique internationale et encore moins à la nouvelle politique américaine.

Enfin, n’oublions pas que le camp Démocrate américain a été soupçonné, sous la présidence de Clinton, de tremper dans plusieurs dossiers de corruption, notamment au niveau de la compagnie nationale de télécommunications (TÉLÉCO). Ainsi, comment Clinton pourra-t-il convaincre la Communauté internationale d’aider un pays classé parmi les trois États les plus corrompus de la planète ? Or sans une lutte farouche contre la corruption, on ne peut envisager le développement d’Haïti.

Michèle Montas, elle, a bien eu raison de souligner que la mission de Clinton n’avait rien à voir avec celle de la Minustah. En effet, Obama - bien plus fin que Georges W. Bush - est passé par le biais des Nations Unies pour avancer sur le terrain politique haïtien, mais c’est bien la politique américaine qui prend ainsi un nouveau tournant dans notre pays et non celle des Nations Unies.

De l’inutilité des gouvernants

À l’occasion du 206e anniversaire du drapeau national, le président René Préval a plaidé pour une indépendance économique.

« Aujourd’hui, nous devons mener une autre forme de lutte afin d’aboutir à notre indépendance économique, dont l’inexistence rend fragile notre indépendance politique », a-t-il déclaré à l’Arcahaie le 18 mai dernier.

« « Nous dépendons trop de l’aide étrangère », a-t-il ajouté. »

Comment sortir de l’assistanat international ?

« Répondre à cette question n’est pas chose facile, estime Préval qui appelle la population au dialogue et à la solidarité. Mais c’est un devoir pour nous de protéger notre indépendance politique par une indépendance économique ».

Selon Préval, la stabilité politique et la sécurité nationale sont déjà réunies. Il faut désormais créer des emplois en redynamisant surtout le secteur agricole et augmenter également le prix de la main-d’œuvre. Le locataire du Palais national a annoncé la poursuite et le démarrage d’un ensemble de travaux d’infrastructures routières, l’augmentation de 60 mégawatts de courant électrique, la récupération de plus de 100 millions de dollars dont bénéficiait l’Électricité d’Haïti en termes de subvention et l’annulation probable en juillet prochain de la dette externe estimée à plus de 1 milliard de dollars américains. Malgré ces annonces, l’accueil de la foule présente a été plutôt froid.

Et pour cause !

Trois ans après son retour au pouvoir, le bilan du président est bien maigre. Mis à part le retour à une certaine sécurité -principalement due aux forces de la Minustah-, René Préval tire inexorablement le pays vers le bas. En l’absence d’un Parlement efficace, de partis politiques structurés, d’une véritable opposition et d’une société civile active, il est seul à la tête d’un pouvoir de pacotille qu’il essaye de renforcer en plaçant ses hommes au Parlement.

Le chef de l’État prône une indépendance économique sans y croire lui-même. Idem pour la production agricole qu’il brandit dans tous ses discours du 18 mai, sans apporter les fonds ou la modernisation nécessaire à la dynamisation de ce secteur vital pour le pays.

Comment parler décemment de redynamiser l’agriculture alors que le nettoyage et la réhabilitation de certaines régions, durement affectées par le passage des derniers cyclones, n’ont toujours pas été effectués ? D’autre part, comment prôner une indépendance économique sans une lutte féroce contre la corruption et l’intégration de la diaspora dans le développement d’Haïti ?

La Communauté internationale n’est pas dupe et la nomination de Clinton en est la preuve. Lors de la conférence de presse du 19 mai écoulé, la porte-parole de Ban Ki Moon a souligné que « le mandat du président Clinton s’adresserait strictement à des problèmes économiques et sociaux ».

Les dés sont donc jetés : face à l’impuissance et à l’irresponsabilité des dirigeants, la Minustah continuera de garantir une certaine stabilité politique en Haïti alors que Clinton servira d’avocat international pour Haïti, comme précisé par Mme Montas, afin d’assurer le développement économique et social d’Haïti.

Devant un tel schéma tout tracé pour notre République, la question suivante se pose désormais : quelle est l’utilité de nos gouvernants aujourd’hui ?

Si, il y a 50 ans, Graham Green utilisait le terme de comédiens pour qualifier les autorités haïtiennes, aujourd’hui elles sont devenues tout simplement des marionnettes.

Le plus ancien quotidien d’Haïti s’interroge aussi sur la nomination de Bill Clinton, « présenté comme « un avocat international pour Haïti », même quand les nationalistes modérés voient déjà en lui le « nouveau gouverneur général ». Il aura « la lourde tâche d’appuyer les efforts des autorités haïtiennes en vue du développement économique et social durable du pays et de promouvoir le renforcement des capacités locales et un avenir meilleur pour Haïti . Qui va appuyer qui ? Qui va orienter quoi ? », se demande Le Nouvelliste dans son éditorial du 20 mai dernier, en ajoutant : « Qui faudra-t-il blâmer quand on s’apercevra que « plus ça change, plus c’est la même chose » ?

Qui sera responsable du sous-développement ou du mal-développement du pays ? Comment des responsables d’un pays peuvent-ils accepter qu’un étranger, qui perçoit un salaire symbolique d’un dollar US annuellement, fasse le travail de développement économique et social à leur place ? ».

En fait, la nomination de Clinton n’est finalement que l’aboutissement logique de 18 ans d’incurie lavalassienne et de la démission des élites politiques, économiques et sociales haïtiennes, ce qui fait d’Haïti une honte et une menace pour la région.

Une situation alarmante

À l’approche de la saison cyclonique, et malheureusement comme nous l’avions prévu, la dégradation environnementale du pays s’accentue. L’alerte rouge a été lancée dans plusieurs départements du pays, alors que 10 morts sont déjà recensés suite aux inondations dans les villes de St Marc (Artibonite, Nord), Les Cayes (Sud), Léogane (Ouest) et Gonaïves (Artibonite, Nord).

Les boat people continuent de quitter le pays et sont automatiquement rapatriés quand ils ne périssent pas au cours du trajet Haïti-Floride, comme le 16 mai dernier où 10 de nos compatriotes sont décédés suite au naufrage d’une embarcation surchargée.

Face au scénario catastrophe qui s’annonce pour la prochaine saison cyclonique, force est de constater l’incapacité des autorités haïtiennes à assumer leurs responsabilités, alors que des millions ont été investis dans des élections-sélections pour des sénateurs dont certains sont ou quasiment analphabètes ou proches des milieux de la drogue et/ou du crime organisé.

Selon nos dernières informations, Préval serait non seulement embarrassé par la nomination de Clinton, mais encore aurait renoncé à son projet de réviser la Constitution de 1987 en vue de briguer un troisième mandat.

Sans création d’emplois et avec la menace que fait peser le vote de la Loi sur le salaire minimum, René Préval a raison de dire qu’à présent « Gouvènman an sòti nan dodo meya pou pase nan jamè dodo ». [3] En effet, comment trouver le sommeil lorsqu’en prônant le populisme, il n’a fait qu’augmenter la misère et la précarité du peuple haïtien ?

Nancy Roc, Montréal, 20 mai 2009




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