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Extrait du Journal Indépendant - Le NOUVEAU RASOIR 18 janvier 2007 # 62

Editorial. - Il était une fois…l’Université d’état d’Haïti

Par Franck Séguy

Au moment où le Conseil exécutif de l’Université d’état d’Haïti courtise l’aval du Conseil de l’Université pour invoquer une certaine loa Projet (ou un projet-loi) qui a pris possession de son esprit ultra libéral, le Journal indépendant Le Nouveau Rasoir vient de recevoir un premier article sur cette loi dont l’esprit, chevauché par la haine du populaire, entend mettre à sac tous les derniers acquis de la lutte estudiantine des trente dernières années. Cette « loi portant définition de l’enseignement supérieur, création du haut conseil de l’enseignement supérieur de la science et de la technologie, et organisation du Conseil de l’Université » représente le coup le plus sévère porté à la démocratie universitaire acquise pourtant de haute main.

On sait bien qu’au cours des années 1960, François Duvalier avait placé l’Université sous sa férule au point que l’accès à cette institution d’enseignement supérieur était conditionné à une sorte de serment d’allégeance envers sa personne. Ceci était valable autant pour ceux qui voulaient étudier que pour ceux qui devaient enseigner. Le mouvement social qui a accouché du 7 février 1986 a mis fin – c’est du moins ce qu’on croyait – à cette situation en faisant inscrire dans la constitution du 29 mars 1987 la liberté de l’enseignement supérieur avec comme corollaire : « L’état doit financer le fonctionnement et le développement de l’université d’état d’Haïti et des écoles supérieures publiques. » (Article 209).

Depuis cette constitution, on n’a assisté à pratiquement aucun effort pour augmenter le nombre de places disponibles pour les enfants des pauvres à l’université. Mieux, on fait répéter à certaines filles et certains fils des appauvris que « l’université n’est pas faite pour les pauvres ». Car, conformément à la vulgate néolibérale, on leur fait croire que – naturellement ou providentiellement – les pouvoirs publics doivent désormais jouer un rôle des plus restreints dans les services publics. Services publics ! Entre temps, la demande de places à l’université augmente d’année en année. Comme le pistonnage a été frappé de caducité dans la plupart des facultés, c’est sur la base du mérite – encore une injustice – que l’on accepte et refoule l’entrée des certifiés du baccalauréat à l’UEH.

Mais là encore, la composition du public estudiantin de certaines facultés – nous hésitons à généraliser, car nous n’avons pas systématisé cette observation partout – montre que les enfants des masses, paysannes surtout, constituent la clientèle privilégiée de l’UEH. Ceci trouverait son explication dans les rapports établis dans nos campagnes et qui permettent aux bourgeois grandons d’accaparer avec aisance – complicité de l’Etat aidant – le surproduit agricole du labeur paysan. Aussi les paysans sont-ils arrivés à placer tout leur espoir sur l’éducation de leurs enfants. Même si, et c’est ce qui est triste, ces derniers, une fois au contact de l’éducation bancaire de la reproduction du capital, rejettent rapidement les valeurs coopératistes et de solidarité pour épouser l’individualisme du marché pour lequel cette éducation les a formatés. De sorte que les exclus, les exploités et les appauvris ont toujours été perdants.

Ceci était déjà assez grave. Mais non content de cela, le FMI croit qu’il faut définitivement interdire aux plus appauvris l’accès même à cette éducation bancaire. C’est pourquoi, il fait miroiter devant le gouvernement en place, la possibilité d’éliminer une partie de ce qu’on considère comme la dette du pays moyennant deux conditions : la réduction du budget public à l’enseignement secondaire et l’élimination du financement consacré à l’université d’état d’Haïti et sa liquidation aux businessmen du secteur privé.

Vite, le Conseil exécutif emboîte le pas au FMI. Son projet de loi de 71 plus 184 articles qu’il fait circuler depuis octobre 2006, constitue la tentative d’offrir à l’état l’instrument juridique pour satisfaire les exigences du FMI au mépris des acquis démocratiques des étudiants inscrits dans la constitution. Les sceptiques peuvent lire l’article 176 de ce loa Projet (ou projet-loi) pour s’en convaincre. « L’Université collecte les montants de participation versés par les étudiants dans le cadre de leur admission aux programmes d’études ou de leur participation à toutes activités académiques non subventionnées[1] ».

Ce loa Projet qui hante et chevauche l’esprit du conseil exécutif de l’UEH commande désormais de promulguer que les programmes d’études à l’UEH ne sont plus financés par le budget national. Ils sont seulement subventionnés. C’est pourquoi, il est prévu (art.174) que le financement de l’Université sera « assuré par l’apport d’organismes nationaux, régionaux ou internationaux ; par les prêts (…) ; par les ressources propres de l’Université et par les apports de tiers sous forme de dons ou autres ». Ou Autres !

La démarche, la voici : dans un temps pas très loin, il fallait être d’une certaine couleur ou répondre à certains patronymes pour accéder à l’enseignement supérieur. Un peu plus tard, il a fallu pouvoir faire montre de certaines relations – être fils ou fille de Untel ou Unetelle, dignitaire, protégée ou poulain du régime. Un peu plus tard encore, ces cartes de présentation ne tiennent plus, mais le critère n’en est pas moins restrictif : le mérite. Car le mérite, tout le monde ne l’a pas, puisque les conditions pour obtenir le mérite n’existent pas pour tout le monde et ne se repartissent pas forcément avec équité chez ceux pour lesquels elles existent. A l’heure de « la fin de l’histoire », le critère est désormais : l’argent. Puisque l’Université est un business. Comme tout autre. Ou mieux que tout autre, qui sait ?

C’est donc plus que jamais l’heure où les étudiants de l’Université d’état d’Haïti doivent prendre le destin de l’UEH en main.

Projet de Réforme universitaire ou coup du rectorat contre la démocratisation en Haïti : L´institutionnalisation néo-libérale du caciquisme universitaire en question.

« En combattant pour votre liberté, j´ai travaillé à mon propre bonheur »

Jean Jacques Dessalines, in Premier discours à la Nation haïtienne (Gonaïves, 1er janvier 1804)

De la colonisation à la globalisation, s´agite toujours l´esprit de « civilisation » qui masque le projet impérial du capital. Nos ancêtres, les esclaves, ont lutté contre le colonialisme, et nous autres, étudiants et professeurs, à quoi servira notre intelligence dans l´ère néo-libérale ?

Ainsi, nous avons introduit volontiers, notre propre lecture des projets de loi que nous avons reçus du Rectorat en tant que membre du Conseil de l´Université[2], parce que, d´abord, à notre sens, c´est toute une époque sociale qu´on veut délibérément liquider, laquelle époque était ouverte par l´UNEH (Union nationale des étudiants haïtiens,1955-1960), revendiquée par la FENEH (Fédération nationale des étudiants haïtiens, 1986-1994) et sauvegardée par le Collectif universitaire haïtien (2002-2003) ; ensuite, notre conviction reste et demeure que l´Université comme dernier échelon de l´éducation scolaire ne saurait ne pas être porteuse d´un projet de citoyenneté, et enfin, l´université reste le bastion de la sauvegarde de l´histoire et de la culture d´un peuple.[3] Ce sont donc ces idées directrices qui vont accompagner nos commentaires sur les projets de loi.

Les projets de loi Paquiot-Laleau-Deshommes et la démocratie universitaire[4]

Cela fait plus de 80 ans que des étudiants de l´université nationale de Córdoba (Argentine) ont légué au monde, l´héritage de la démocratie universitaire conçue comme la participation de toutes les composantes à la gestion de l´université, la liberté académique, l´autonomie administrative, etc. Vingt (20) ans se sont déjà écoulés depuis que des étudiants de la FENEH ont monté à l´assaut de la loi impériale de 1960[5] qui avait consacré la main-mise du pouvoir des Duvalier sur l´orientation de l´éducation universitaire, et nous aurons très bientôt dix (10) ans depuis que les dispositions transitoires ont jeté les bases légitimes de la démocratie universitaire en Haïti, mais l´université et la société ont semblé ne pas prendre à sa juste mesure, l´avertissement tardif de l´ancien vice-Recteur Jean Rénol Élie contre l´institutionnalisation du caciquisme universitaire[6]. Justement, au moment où nous aurions dû saluer l´effort de penser l´institutionalisation de la jeune démocratie universitaire en Haïti, il semble que nous sommes partis pour de nouvelles luttes universitaires démocratiques.

La restauration institutionnelle du caciquisme universitaire sous couvert de modernisme néo-libéral

Les deux projets-loi du rectorat visent la bureaucratisation de la jeune démocratie universitaire, la subalternisation de l´éducation supérieure à la néo-colonisation soft et la patrimonialisation rectorale de l´université. En effet, dans le projet-loi portant définition de l´enseignement supérieur, création du haut conseil de l´enseignement supérieur de la science et de la technologie et organisation du Conseil de l´Université[7] (version du 28 août 2006), il est écrit :

« L´enseignement supérieur se base sur les principes fondamentaux tels que : l´égalité des chances, des sexes et de genre ; la liberté d´expression ; le pluralisme idéologique et religieux ainsi que le respect des normes démocratiques de représentativité, de tolérance et de concertation » (art. 3)[8]

« L´enseignement supérieur a pour mission [entre autres ] de :

d) collaborer à la conception et à la mise en oeuvre des stratégies nationales, régionales et internationales visant la diffusion, la préservation, le renforcement et la promotion d´une culture axée sur la tolérance et la paix ;

f) participer au relèvement de l´humain haïtien en oeuvrant à l´amélioration de la qualité de l´éducation de base par la diffusion des savoir (sic) et savoir-faire modernes[9] ainsi que par la formation des enseignants et la recehrche éducation. (art. 4)

Point n´est besoin d´être spécialiste en Science politique ou en communication politique pour comprendre que ce projet sert de caisse de résonnance intellectuelle à la globalisation néo-libérale ; il met en avant des idées considérées comme modernes dans la contemporanéité comme le genre, la paix, la tolérance, le pluralisme idéologique, tout en les noyautant par des discours anti-démocratiques comme l´égalité des chances, par exemple : tout le monde sait que l´égalité formelle sert surtout les intérêts des classes dominantes dans des situations réelles d´inégalité ; qu´est-ce que le pluralisme religieux vient chercher dans une institution reconnue depuis des siècles comme étant fondamentalement laïque. La modernité s´est donc incrustée de sa dose de traditionnalité ! Le néo-libéralisme ne s´est pas gêné de son manteau usé : la coopération internationale au développement. Le haut Conseil de l´enseignement supérieur, de la science et de la technologie sera ainsi composé de « 5 personnalités scientifiques » en dehors de toute norme nationale : « le choix de ces personnalités s´effectue sans condition de citoyenneté » (art. 20). Nous sommes devenus tellement internationalistes que la démocratie nationale n´est pas à être instituée dans le pays !

Mais, il semble que l´esprit n´est pas aussi autonome comme le suggère la composition cosmopolite de notre haut Conseil ; la dépendance héritée de la colonisation et de la modernisation développementiste paraît être plus congruente : c´est le Ministre de la planification et de la coopération externe qui présidera le haut Conseil (art. 21). Pour comprendre la portée d´une telle disposition, on doit se rappeler qu´avec la décolonisation initiée sous l´impulsion démocratique de la jeune Révolution de 1917, les ministères des colonies ont été remplacés par des agences de coopération internationale ; et les pays dits sous-développés ont été obligés d´instituer des conseils nationaux de développement et de planification (CONAFEP) comme interlocuteurs des agences de développement international. Chez nous, le CONADEP s´est transformé en ministère de coopération externe qui détiendra la prépondérance sur le ministère de l´éducation nationale dans un comité d´enseignement supérieur. Quel paradoxe ! Or, c´est ce conseil qui est chargé d´octroyer l´autonomie à toute institution d´enseignement supérieur (art. 26), bien sûr, en dehors de la norme constitutionnelle qui a consacré, en ce sens, le pouvoir de l´Université d´État d´Haïti.

L´esprit de la dépendance est vraiment un démon qui a hanté les concepteurs du projet : entre les « compétences et tâches de la Commission de la promotion du développement)[10], ils ont consigné :

h) préparer des documents techniques aux fins de pourparlers avec des bailleurs de fonds en vue de les emmener au renforcement des capacités d´accueil ainsi que des capacités académiques et financières de l´enseignement supérieur et de la recherche scientifique en Haïti.

Donc, l´éducation n´est plus un droit social que l´État haïtien a le devoir de satisfaire ; c´est par la coopération externe que nous devons satisfaire le besoin de développement intellectuel de la jeunesse ! En ce sens, il est compréhensible que le mode de dérégulation néo-libérale soit dominante, même dans la législation universitaire, et que les étudiants y soient conçus comme des citoyens en tutelle. Quel bel exemple d´harmonie entre le moderne et et le cacique dans le démantèlement de la démocratie universitaire en Haïti !

Tout indique que le projet-loi de l´enseignement supérieur est aussi une illustration de la leçon de l´autre colonisé qui avait proclamé l´hellénicité de la science, mais ce dernier a, lui-même, obtenu son droit de citoyenneté dans le cadre de la nouvelle politique de recolonisation. Nous autres, nous avons fait la liberté par la médiation de la force physique et intellectuelle de nos ancêtres. D´ailleurs, n´était-ce l´eurocentrisme de Hegel et de Marx, la « civilisation » nous aurait dû la dialectique du maître et de l´esclave, et celle de la liberté et de la nécessité[11]. C´est pour dire que la connaissance est une représentation mentale d´une réalité et que toute réalité humaine est grosse de connaissances. Et dire que, souvent, l´occident théorise sur sa réalité à partir du temps rendu libre par l´expansion du colonialisme, du modernisme et du globalisme !

La compétence technique au détriment de l´engagement démocratique !

Ce préjugé d´immaturité semble être mis à profit contre les étudiants de l´UEH : au chapitre concernant la composition et l´organisation du Conseil de l´université, ils n´ont pas été mentionnés. Au contraire, ce sont « 7 personnes haïtiennes vivant au pays ou à l´étranger et ayant fait preuve de leur haut niveau de savoir et de savoir-faire dans les domaines de l´enseignement supérieur et de la recherche scientifique » (art. 49) qui vont partager, avec les recteur et vice-recteurs et 6 doyens, les tâches de régulation, de coordination et de promotion de l´enseignement supérieur. De politique, le conseil devient « technique », et la démocratie universitaire est sacrifiée sous l´autel de la modernité technologique[12] ! De plus, ce qui est intéressant, c´est qu´au lieu de corriger la confusion de rôles que détermine l´inclusion du Conseil exécutif du rectorat dans la composition du Conseil de l´Université, en faisant valoir par ainsi, la nécessaire dialectique entre le contrôle et l´exécution dans un processus de gestion démocratique, les concepteurs ont chassé les étudiants et professeurs de cette instance suprême qu´est le Conseil de l´Université. Bien sûr, nos intelligents législateurs ont aménagé, dans la loi portant organisation de l´université d´État d´Haïti, un lieu où ces catégories peuvent toujours vivre dans l´illusion de participer à la gestion de l´autonomie universitaire : c´est la création du Conseil d´Administration de l´UEH (art. 24).

Mais là encore, la démocratie universitaire a été diluée : le Conseil d´administration est ouvert « à des citoyens ne faisant pas partie de l´Université » sous l´heureux prétexte qu´ils « ont contribué au progrès de la société haïtienne, par leur haut niveau de formation, leur expérience dans la formation supérieure ainsi que leurs productions scientifiques, culturelles ou autres » (art. 25). C´est ce que nos intelligents concepteurs appellent des représentants de la société civile, comme si celle-ci est un corps homogêne dans sa composition, vertueux en terme démocratique et progressiste dans le cadre de l´éducation en Haïti. Pour un simple rappel : nous dirons que l´arène de la société civile est largement dominée par le Groupe 184 et l´Organisation de la société civile dont les membres dirigeans ont, historiquement, contribué à maintenir les masses populaires dans l´ignorance et l´analphabétisme, et pillé les richesses du pays en conservant les structures et institutions autoritaires héritées de la lutte pour l´Indépendance. Mais, là ne réside pas le problème majeur dans cette prétention de législation ; l´esprit anti-populaire du projet s´est révélé dans la réduction drastique du nombre des étudiants dans les affaires de l´université : 3 représentants du corps des étudiants de l´Université feront partie du Conseil d´Administration. Et l´on crée une Assemblée universitaire (art. 67) qui devient un organe consultatif et électoral. Là, 16 étudiants représentent le « collège électoral » de leurs pairs contre 20 professeurs correspondants : on diminue considérablement le poids des étudiants dans le choix du conseil exécutif !

Tout compte fait, les projets sous étude mettent à mal la démocratie universitaire conquise de hautes luttes dans la société haïtienne de privilèges. Ils transforment le recteur en maître et seigneur de l´Université : il exécute et contrôle (art. 25-26-32), nomme les vice-recteurs (art. 41), convoque les élections (art. 60), ratifie le choix de la commission paritaire (art. 95). En même temps que le recteur érige l´université en un simple patrimoine d´ordre privé, il octroie des fiefs institutonnels aux vice-recteurs pour subalterniser les professeurs, les étudiants et le personnel administratif (art. 44, 48, 52), et continue d´exercer son protectorat sur le Conseil scientifique (art. 107), le Conseil académique (art. 117). En fait, il est difficile de comprendre qu´un jour après le dechoukaj du Rectorat de Gaillard-Hector-Austin, des recteur et vice-recteurs auraient pensé à museler la démocratie universitaire en Haïti, si l´on ne verse pas ce projet dans le fonctionnement réel de l´UEH : le rectorat feint d´ignorer le mode de gestion patrimonialiste des doyens ; des professeurs à temps plein viennent seulement dispenser leurs cours, et des étudiants attendent de devenir bénéficiaires de largesses de recteur, vice-recteur, doyen ou professeur. Le reflux du mouvement social populaire haïtien semble revigorer l´esprit universitaire aristocratique à l´UEH.

L´agenda politique des projets de loi en discussion

Si l´on considère le fait de l´occupation militaire du pays sous le commandement du Brésil, comme le plus grand problème politique actuel du pays, pour avoir hypothéqué la démocratisation dans la société (au nom de la democratie, aucun intellectuel n´est capable de démontrer la congruence de la mise sous tutelle d´une souveraineté nationale), il devient transparent que les deux projets prennent fait et cause pour la domination impérialiste. Au moment où l´impérialisme met encore entre parenthêse, le droit à l´auto-détermination dignement conquis sous le champ de bataille, des projets de loi, émanant du Rectorat de l´Université nationale, viennent parler le langage de la néo-colonisation soft : l´université doit préparer des citoyens qui cultivent la paix, la tolérance et la concertation. Cette culture accompagne, bien sûr, le cosmopolitisme, puisque le développement scientifique et technologique s´opèrera « sans considération de citoyenneté » (art. 5). Et la coopération devient l´idée maîtresse de cette modernisation de l´Université nationale !

La démocratie ne peut se développer qu´entre des nations souveraines. Toute « coopération » qui s´instaure dans des conditions inégales, ne servira que les intérêts des plus puissantes. Déjà, Lénine avait laissé cette leçon démocratique, à savoir qu´on ne saurait exporter une révolution ; que l´universel doit se nourrir du particulier !

Par ailleurs, les deux projets visent à dépolitiser l´éducation pour la repolitiser dans le sens de la globalisation : la modernité technique prend le dessus sur la modernité libertaire ; la participation politique des étudiants est réduite à sa plus simple expression. Désormais, c´est un comité aristocratique appelé Conseil de faculté en accord avec la Commission électorale qui élira les doyens (art. 125). Et chaque Doyen proposera au Recteur, trois noms au poste de vice-doyen (art. 132). Donc, on ne se contente pas d´éliminer l´ « universalité » dans le choix politique des responsables de faculté ; on exclut la possibilité de conseil de coordination qui est, pourtant, une expérience démocratique universitaire à consolider. Le citoyen à former doit être sous tutelle : c´est la leçon brutale que nous donne le retour en force de la figure de doyen, si toutefois, la gestion des Facultés de Médecine, de Linguistique Appliquée ou d´Agronomie a encore manqué d´énergie pour nous rappeler que le spectre grimaçant de l´autoritarisme n´avait jamais disparu de l´horizon académique haïtien.

Nous sommes maintenant convaincu : dans une réunion tenue au bureau du Vice-recteur Wilson Laleau, sur la question de la réforme universitaire, la puissante Michèle Oriol nous avait subtilement annoncé les couleurs : « l´éducation est une activité simplement technique et l´Université n´a pas la tâche de proposer des modèles de développement[13] ». Dire que c´est elle encore qui a fermé le département de communication sociale (Faculté des Études Post-graduées) par suite de la réfutation du programme par des étudiants, pour cause de manque de fondement scientifique et d´absence d´ancrage dans la réalité haïtienne ! Des étudiants n´ont pas le droit de penser autrement.

Voilà l´agenda politique du rectorat : annuler les acquis socio-politiques de la FENEH et revenir à la formation du citoyen sous tutelle ! Dans ces conditions, il est impératif d´expulser l´étudiant de tous les espaces facultaires où il a produit sa propre autonomie, en dépit de la conservation des curricula à contenus anti-démocratiques jusqu´à aujourd´hui.

Projet de réforme de l´UEH et Culture nationale

D´abord, nous devons admettre que les projets sous étude, ont des caractères culturels ; ils répondent à une demande sociale anti-démocratique : le musèlement de la jeunesse universitaire, qui a toujours participé, aux côtés de jeunes lycéens et collégiens, à la défaite de tout régime politique dictatorial (1929, 1946, 1986, 2004). Par contre, ces projets semblent satisfaire une nécessité de décentralisation de l´enseignement universitaire : ils ont créé trois académies provinciales (Nord, Artibonite et Sud) (art. 153, 154 et 155), mais ils n´ont pas défini la spécificité de chaque académie en relation aux potentialités et cultures des provinces, comme l´a fait le Collectif pour l´Autonomie de l´Université qui a, par exemple, proposé de doter le Nord de faculté de sciences sociales, l´Artibonite, de faculté d´agronomie, et le Sud, de faculté de lettres[14]. L´autre point manquant dans cette innovation, reste et demeure le temps dans lequel l´Université d´État d´Haïti, matérialisera le projet des académies provinciales. Comment les concepteurs voient-ils l´avenir du pays et l´apport de l´Université dans la définition et l´orientation de ce futur. Ils sont muets sur cettte question capitale qui doit être répondue dans toute planification sociale !

Cependant, le mutisme n´est pas aussi total, puisqu´ils ont répondu à la question de profil des citoyens à former : des consommateurs radicalisés dans la modernité néo-libéralisée. Ce sont des êtres « rationnels » qui aideront à extirper des mentalités paysannes et de la jeunesse, la culture « irrationnelle » de liberté pleine que nous a léguée la lutte anti-colonialiste. Nous en avons pour preuve, l´appropriation fortement affirmée du modernisme néo-libéral : égalité des chances, projet de coopération, culture de la paix sous occupation, cosmopolitisme dépendant, etc. Ce sont là, des exemples qui attestent du rejet de la modernité libératrice contenue dans la Révolution de Saint-Domingue : on veut devenir moderne, selon la vision impérialiste. Pour cela, on doit tourner le dos à la modernité anti-capital qui est, pourtant, un élément central dans la construction de notre identité de peuple. On se plaît souvent à répéter que, malgré les 19 ans d´occupation militaire (1915-1934), la culture étatsunienne n´a pas su s´imposer en Haïti, mais on oublie toujours d´ajouter que le peuple paysan d´Haïti a rejeté le fondamentalisme yankee, parce que ce dernier est fondé sur la suprématie blanche, la morale individualiste et chrétienne, la prédestination impériale, lesquelles valeurs ont été combattues, avant la lettre, dans la Révolution de 1803.

La culture nationale est donc, historiquement, fondée sur la liberté pleine et orientée contre tout mode de vie individualiste et raciste ; l´individu et son groupe ont toujours été présents dans l´organisation des escouades ; le paysan a toujours pensé à la reproduction sociale de sa famille et non à l´exploitation d´autres paysans. C´est ce noyau culturel que l´impérialisme n´a pas su détruire, malgré l´organisation de l´émigration paysanne vers les plantations de canne à Cuba et en République Dominicaine (1918-1920), l´institutionnalisation d´écoles vocationnelles enseignant le mode d´organisation capitaliste du travail, le massacre des porcs créoles (1979-1981), l´invasion culturelle à travers les mass médias, etc. Mais, quelle est la place réservée à cette résistance culturelle dans les projets de réforme ? Comment l´Université nationale réformée entend accompagner le développement de cette culture libertaire, en vue de mieux contribuer à la formation de l´Universalité ? Au moment où notre souveraineté est sous contrôle impérialiste, comment les projets de réforme voient la jeunesse « gardienne du drapeau » ?

Nulle part, les projets n´ont accordé une attention à la culture nationale ; or, dans le cadre de la coopération démocratique des peuples, chaque être national doit contribuer proprement à la réalisation de l´humanité. C´est en ce sens que la jeunesse estudiantine aurait dû être encouragée dans ses pratiques culturelles et politiques de construction d´autonomie, et non être muselée pour redevenir un être immature. Seuls des étudiants intellectuellement compétents et politiquement résolus peuvent mériter du projet de Bellegarde ; seuls des étudiants autonomes peuvent porter des professeurs et des responsables à acquitter de leurs tâches avec la probité intellectuelle nécessaire et l´honnêteté administrative impérative. Seuls l´approfondissement et la généralisation de la démocratie universitaire seront capables de créer des conditions pédagogiques nécessaires au développement de la pensée intellectuelle critique à l´UEH et de redonner à la jeunesse estudiantine, une place autonome dans la réalisation de son projet de vie et la matérialisation de l´idéal dessalinien de liberté, d´égalité et de félicité humaines. L´heure est encore à la sauvegarde des acquis démocratiques de la jeunesse haïtienne !


Jn Anil Louis-Juste Igarassu (Pernambouc), 13 janvier 2007.

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[1] C’est nous qui soulignons.

[2] Il s´agit de l´instance suprême de l´Université d´État d´Haïti, selon les dispositions transitoires du 21 février 1997. Le Conseil est composé de 36 membres : 3 recteur et vice-recteurs, 11 étudiants, 11 professeurs et 11 délégués de conseil décanal, l´UEH étant formée de 11 facultés.

[3] C´est sans doute dans cette dernière perspective que Price Mars a écrit « La vocation de l´Élite » et qu´avant lui, Dantès Bellegarde a compris l´éducation des jeunes comme l´activité politico-intellectuelle par excellence, dans le processus de défense de la liberté si chèrement conquise. Aussi a-t-il contribué à instituer le jour du drapeau en temps de l´université.

[4] En dépit du fait que l´un des avant-projets de loi indique son émanation rectorale, nous l´avons considéré comme proposition-synthèse des recteur et vice-recteurs de l´UEH. La raison est qu´il est officiellement distribué aux membres du Conseil de l´Université, qui ont été convoqués à une première réunion de discussions. Or, à cette réunion, les deux vice-recteurs, par leur silence et leur présence, ont ainsi assumé leur collégialité.

[5] Cette disposition légale avait exigé l´allégeance des étudiants et professeurs au régime politique d´alors pour appartenir à l´université. De plus, ces derniers devaient être des anti-communistes actifs, comme le furent Roger Lafontant, Rony Gilot, et nous en passons.

[6] A la fin de son mandat comme vice-recteur de l´UEH, le professeur Jean Rénol Élie avait attiré l´attention de la société et de l´université sur l´absence de projet universitaire démocratique à l´UEH, mais, malheureusement, sa voix n´a pas été entendue : le recteur Pierre Marie PAQUIOT a été reconforté dans sa vision patrimonialiste de la chose universitaire, par sa réélection démocratiquement obtenue en 2004. C´est ce caciquisme que nous avons dénoncé dans le texte « De la crise de l´Éducation à l´éducation de la Crise », en 2003. Chaque doyen se considère comme propriétaire héritier de la faculté qu´il dirige, et la majorité des étudiants se comportent comme des élèves qui doivent obéissance aveugle au maître-propriétaire de savoir, selon leur projet de reproduction de la société de privilèges. Et des resposnables de rectorat feignent de ne pas observer ces comportements pédagogiques conservateurs, pour mieux continuer à gérer la chose universitaire comme patrimoine privé. Des professeurs à temps plein en profitent pour percevoir leur salaire d´encadreurs et de chercheurs, mais ne fournissent qu´un simple service de chargés de cours.

[7] Nous le désignerons plus tard sous le nom de projet-loi de l´enseignement supérieur.

[8] On peut facilement se rendre compte que la préoccupation des couches majoritaires de la population, si chère à l´esprit et à la lettre des dispositions transitoires du 21 février 1997, a été tout simplement exclue de la pensée des concepteurs de ce projet.

[9] C´est nous qui soulignons.

[10] Nous aurions bien aimé lire cette question de développement aux lunettes dessaliniennes de libre individualité, dont la vision a proclamé la distinction et la complémentarité entre la liberté collective et le bonheur individuel : « En combattant pour votre liberté, j´ai préparé mon bonheur. Avant de la consolider par des lois qui assurent votre propre individualité, vos chefs que j´assemble ici, et moi-même, nous vous devons la dernière preuve de notre dévouement » Proclamation du Général en chef au peuple d´Haïti, Liberté ou la mort, 1er janvier 1804.

[11] Dans um brillant essai intitulé “Hegel y Haití. La dialética amo-esclavo : una interpretación revolucionaria”, Argentine 2005, Susan Buck-Morss a fustigé le comportement raciste de Hegel qui a volontairement omis de citer l´apport inestimable de la lutte des esclaves de Saint-Domingue dans sa conceptualisation dialectique, tandis qu´il a suivi méticuleusement ce mouvement révolutionnaire, à travers des correspondants allemands qu´il s´est trahi, par contre, à citer ailleurs. C´est aussi une autre occasion de souligner la présence de cette culture eurocentrique chez Karl Marx qui, - quoiqu´il ait reconnu, dans Misère de la philosophie, l´importance, en quelque sorte, de la colonisation dans la construction du capitalisme (ce sont les colonies qui ont créé le marché mondial, condition de la grande industrie, mais c´est l´esclavage qui a fait la valeur des colonies) -, a considéré les ouvriers européens comme des « esclaves modernes », comme si la contemporanéité affirmée dans la relation socio-historique libéralisme-esclavage, a une valeur supérieure dans l´exploitation de l´ouvrier blanc par le bourgeois blanc ! L´esclavage qui a contribué au développement de l´universalisme libéral, est bel et bien contemporain de la production du capital ; il a été seulement aboli dans la reproduction développementiste du capital, c´est-à-dire, à partir de la lutte de l´impérialisme contre le communisme (cf. Guerre froide). Cette même pointe eurocentrique a resurgi dans la dialectique de la liberté et de la nécessité que Karl Marx a mise au point, au départ, à partir de sa critique démocratique radicale de la Philosophie du droit politique de Hegel, - là où ce dernier avait conçu sa dialectique maitre-esclave-, et finalement dans l´Idéologie allemande et le Capital, en ignorant superbement l´existence du discours de Jean Jacques Dessalines ! Toutefois, la remarque qui met en lumière des oscillations de l´auteur et l´influence libérale de sa pensée, ne vient pas mettre en doute, la valeur humaine, heuristique et révolutionnaire de sa propre pensée.

[12] A supposer que la préoccupation pédagogique a guidé les concepteurs de ce projet, pourquoi n´ont-ils pas pensé à organiser le Conseil de l´Université, tel quíl est actuellement composé, de manière à introduire les étudiants-membres dans le monde de la gestion universitaire ou de la recherche universitaire. Ces étudiants seraient superbement encadrés : 25 professeurs pour 11 étudiants ; ils serviraient comme moniteurs d´initiation à la recherche dans leur faculté respective.

[13] Curieusement, la réponse de Madame Oriol venait justifier le plan d´études techniciste proposé dans le cadre de la réforme universitaire et mis en question par l´auteur de l´article, qui avait, ce jour-là, démontré et démonté la politicité conservatrice et réactionnaire de ce plan de faculté des sciences sociales.

[14] Cette proposition s´est principalement inspirée de la genèse et du développement intellectuel du peuple haïtien, ainsi que de sa dotation en ressources foncières et hydriques.




BÔ KAY NOU


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